Le couperet est enfin tombé.
Si dans la perception populaire, les réseaux sociaux étaient des zones de ‘’non-droit’’, une sorte de ‘’no man’s land’’, ‘’une jungle’’ où les citoyens pouvaient s’exprimer sans tenir compte des lois. Il y’a maintenant des garde-fous sur la liberté d’expression sur les réseaux sociaux en Côte d’Ivoire.
La condamnation de l’internaute Yao Kouadio Philippe, âgé de 31 ans, à 12 mois de prison ferme avec une amende de 5 millions FCFA pour dérive sur les réseaux sociaux par la justice ivoirienne, le 19 mars 2018, en est la parfaite illustration.
Le mis en cause, pour rappel des faits avait, dans un poste publié dans un forum de discussion appelé au crime à l’encontre des familles des forces de l’ordre en réponse à l’assassinat d’une adolescente de 13 ans à M’bahiakro, ville située dans le centre de la Côte d’Ivoire.
Une peine jugée trop lourde
Cette condamnation s’inscrit comme une première en Côte d’Ivoire. La société ivoirienne dans son ensemble, approuve l’objet de sa condamnation, car ses propos ont choqué l’opinion nationale. Toutefois, elle reste divisée sur sa peine.
Interrogés sur la question, certains préconisent des heures de travaux d’utilité publique en lieu et place des années d’emprisonnement pour des dérives sur les réseaux sociaux. D’autres appellent à une plus grande impartialité dans le traitement des dérives sur internet.
« Dans un pays où le Président de la République est le chef de l’administration, on ne peut pas dire que le pouvoir judiciaire est assez indépendant. Il y’a eu des personnes qui ont écrit des choses aussi graves sans que le procureur ne lève le petit doigt. On attend de voir l’appréciation de futurs écrits de ce genre pour tirer une éventuelle conclusion » a déclaré Sylvain N’Guessan, Directeur de l’Institut des Stratégies d’Abidjan.
Vers une régulation de médias sociaux…
Les forums de discussion, lieux privilégiés des internautes en Côte d’Ivoire pour débattre de l’actualité et confronter leurs idées, sont de plus en plus utilisés pour lancer des appels à la haine et la violence.
À cet effet, le procureur de la République, Christophe Richard Adou, a convié dans la matinée du 27 mars 2018, les administrateurs d’une dizaine de forums de discussion Facebook de Côte d’Ivoire à une séance de travail.
Au menu des échanges, la sensibilisation sur le défi de modération, la relecture des textes de loi applicable et la collaboration pour un internet sûr et pacifique en Côte d’Ivoire.
Cette invitation du Procureur de la République a fait grand bruit sur la toile. Si une partie des internautes a salué la volonté du pouvoir judiciaire de travailler avec la société civile pour assurer un ‘’internet sûr et pacifique’’ en Côte d’Ivoire, beaucoup y ont vu un moyen détourné du gouvernement de restreindre la liberté d’expression sur les réseaux sociaux.
C’est le cas de l’ancien ministre de la promotion de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs, Alain Lobognon, député de Fresco. « Le procureur de la République qui convoque les utilisateurs des réseaux sociaux en Côte d’Ivoire, cela donne une mauvaise image de notre démocratie et notre pays qui organise au même moment la 6e édition du Africa CEO Forum », a indiqué le député et ancien ministre Alain Lobognon sur son compte twitter.
Pour Assane Coulibaly, administrateur du Forum »Police secours », qui a participé à la rencontre avec le Procureur, cette initiative n’a pas pour but d’embrigader la liberté d’expression sur les réseaux sociaux.
« Il s’est agi pour lui (le Procureur) de nous sensibiliser afin d’éviter les dérives de nos membres sur nos différents groupes Facebook parce qu’en tant qu’administrateurs, nous devons réguler nos pages pour éviter certaines dérives », a expliqué Assane Coulibaly à la presse, au sortir de l’entretien avec le procureur de la République.
La rencontre entre les administrateurs de forums Facebook et le Procureur de la République près du tribunal de première instance d’Abidjan va-t-elle conduire la Côte d’Ivoire vers un ‘’internet sûr et pacifique’’ ou va-t-elle mener à la longue au musèlement des internautes sur les réseaux sociaux ?