La semaine dernière, j’étais invite à ce qui était décrit comme un événement de « Réflexion internationale », en gros une série de conversations entre des universitaires du campus de l’Université de Columbia à New York et des universitaires et participants de neuf Centres internationaux de Columbia dans le monde. La question sur laquelle nous devions réfléchir était la suivante : Quel problème relatif au monde en mutation dans lequel nous vivons considérez-vous comme le plus urgent dans votre région ?

Il est vrai que le monde change de bien des manières, et ce de façon assez catégorique, ce qui pose des défis conséquents aux habitant du Kenya et du continent africain. Il s’agit des dangers du changement climatique, comme l’atteste la sécheresse actuelle qui ravage le continent. L’avancée parallèle de la mondialisation et de la technologie crée à la fois des opportunités, des emplois et de la richesse, mais elle en détruit également, et permet à de petits groupes d’individus désabusés de terroriser des nations entières. Dans le même temps, nous devons lutter à la fois contre des maladies émergentes et d’autres plus familières en conséquence de nos nouveaux modes de vie, et trouver comment préparer nos enfants à faire face à un avenir incertain.

Pour que ces actions puissent être efficaces, nous aurons besoins que nos gouvernements se concentrent sur le bien-être de leurs citoyens et s’en préoccupent, et qu’ils coopèrent afin de traiter des problèmes plus vastes, à échelle mondiale. Et pourtant, dans le monde entier, nous observons une mise en retrait par rapport à ces valeurs. Si certains pointent du doigt la montée en puissance du populisme et du nationalisme xénophobe, avec une préférence pour des leaders « forts », tel qu’on a pu le voir avec l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis et la montée de l’extrême droite en Europe, je crois que quelque chose de plus insidieux est en train de se jouer.

« Personnellement, je préfère un dictateur libéral plutôt qu’un gouvernement démocratique manquant de libéralisme », fit un jour remarquer Friedrick Hayek à propos d’une visite à Pinochet, au Chili. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui semblent simplement pencher en faveur d’une dictature économiquement intelligente, selon la conviction que la démocratie, notamment la démocratie libérale, n’a non seulement pas fonctionné, mais va jusqu’à militer contre la capacité à résoudre les problèmes. Des modèles de tels régimes se trouvent en Chine, au Rwanda et en Ethiopie, et favorisent de forts taux de croissance tout en sapant les libertés politiques et les droits humains.

Et pourtant, privilégier les chiffres de l’économie plutôt que les individus ne fait que produire des Etats à la santé chroniquement fragile. L’Ethiopie, qui connait une croissance à deux chiffres depuis plus d’une décennie, est en Etat d’urgence depuis plus d’une décennie, une situation provoquée par des manifestations en opposition à la répression. Nombreux sont ceux ici qui oublient que les violences post-électorales de 2008, qui ont poussé le pays au bord de l’anarchie, sont survenues après la plus longue période de croissance économique durable en vingt ans.

La croissance économique n’est pas une panacée. Elle n’est pas un substitut au véritable travail consistant à s’assurer que les gouvernements sont ancrés et sont redevables vis-à-vis des populations qu’ils dirigent. Et comme le démontrent les nominations récentes de partis dans le pays, le Kenya n’a pas fait grand-chose pour s’assurer que les processus politiques soient le reflet non ambigu de la volonté de la population.

Un autre élément qu’il convient de prendre en considération est que depuis la fin de la Guerre froide, la communauté internationale a exercé un contrôle essentiel sur les excès du gouvernement au Kenya et dans la région, et a été un allié important pour tous ceux qui luttaient pour un plus grand respect des droits humains et démocratiques, ainsi que pour une meilleure gouvernance. La Cour pénale internationale a par exemple été un facteur essentiel pour modérer l’appétit de violence des politiciens, et est la raison pour laquelle les violences de 2008 ne se sont pas répétées en 2013.

Alors que le Kenya se prépare à de nouvelles élections, la renommée de la Cour pénale international a été fortement entachée par les affaires d’Uhuru Kenyatta et de William Ruto, et est maintenant considérée comme purement symbolique. En outre, la montée de populistes centrés sur eux-mêmes comme Trump signifie que nos élites au pouvoir se préoccuperont également moins des réactions internationales aux violences des droits humains et des élections truquées. La fragmentation de l’ordre libéral mondial et la puissance et le prestige commercial qui ignorent les préoccupations en matière de droits humains et de gouvernance signifient que les régimes brutaux et corrompus dans la région n’ont pas franchement peur de la délégitimation et de l’ostracisme internationaux.

De fait, le défi de recréer les coalitions de citoyens et d’alliés internationaux nécessaires pour assurer le contrôle de la classe politique lors des élections et de mettre en place de véritables réformes dans la phase post-électorale est de plus en plus pressant. Nous devons également développer de nouveaux modèles de développement, qui reconnaissent que le développement est une affaire d’individus, et non d’économies.