Le ministre de la justice de Zambie, Given Lubinda, a déposé un projet de loi visant à amender la Constitution républicaine, bien que les amendements proposés aient suscité une vive résistance de la population.
Les amendements proposés incluent la réintroduction du poste de ministres adjoints, que la Zambie avait supprimés en 2016, après des années d’opposition de la population à ces postes. Le projet de loi cherche à supprimer la description de la Zambie en tant qu’État multiconfessionnel, à prolonger le cycle de vie du parlement d’une élection à l’autre et, de manière générale, à augmenter significativement les pouvoirs de l’Exécutif par rapport aux autres branches du gouvernement.
Les analystes et les cellules de réflexion dans le pays et à l’étranger continuent de désapprouver les amendements proposés, citant des conséquences négatives profondes, si le projet de loi d’amendement devait être promulgué. Le projet de loi visant à modifier la Constitution zambienne a été publié le 21 juin 2019, afin de recueillir les commentaires du public. La Section 79 de la Constitution stipule qu‘un Projet de loi qui vise à amender la Constitution doit être publié au Journal officiel 30 jours avant sa première lecture. A la deuxième et troisième lectures, le Projet de loi doit être soutenu par les deux tiers des membres de l’Assemblée.
Concernant la composition du parlement, le Projet de loi est vague et attend d’être promulgué en loi, de plus le projet ne stipule pas le nombre de juges devant siéger à la Cour constitutionnelle ou à la Cour suprême, ce qui laisse une possibilité d’ingérence politique dans l’appareil judiciaire. Il existe une possibilité d’ingérence politique supplémentaire dans le fait que le Projet de loi donne au président le pouvoir de désigner un tribunal pour destituer un juge en exercice. Ce pouvoir était auparavant conféré à la Judicial Complaints Commission (Commission judiciaire des plaintes).
Les amendements proposés permettent également au gouvernement zambien d’obtenir plus facilement des postes stratégiques, tels que le poste de Secrétaire du cabinet. Le projet de loi proposé n’exige plus que cette nomination soit réalisée en consultation avec la Civil Service Commission(Commission de la fonction publique), et la seule exigence devant être maintenant considérée pour le poste est celle d’avoir occupé un poste de direction pendant 10 ans. Le projet de loi supprime également les qualifications d’éligibilité spécifiées pour que des individus puissent être désignés Gouverneur de la Banque de Zambie, ce qui sera vraisemblablement prescrit dans une autre loi.
Le projet de loi propose que le président nomme les ministres adjoints qu’il estime nécessaire. Cet amendement est inquiétant car les postes de ministres adjoints avaient été supprimés, au motif qu’ils étaient considérés comme redondants et inefficaces au regard des coûts. Cette réintroduction est obscure et inutile, étant donné que des ministres provinciaux sont déjà en place, sans parler du fait que l’argent nécessaire pour nommer les ministres adjoints pourrait être utilisé de manière bien plus constructive.
Après que le gouvernement ait réuni un Forum de dialogue national controversé, qui a produit les amendements constitutionnels impopulaires proposés, le public, se sentant trahi par le gouvernement qui souhaitait changer la constitution en faveur des intérêts de l’élite au pouvoir, a fortement réagi.
Le Forum Oasis, un consortium exerçant un plaidoyer en faveur de la bonne gouvernance, dirigé par des personnalités de premier plan, a appelé dans des termes très fermes dans une déclaration signée par son président, Eddie Mwitwa, qui est également président de Law Association of Zambia(association des juristes de la Zambie), au retrait immédiat du Projet de loi du parlement afin que le gouvernement puisse réaliser les consultations adéquates relatives au Projet de loi et s’assurer qu’il respecte les normes minimum en matière de questions constitutionnelles.
Dans une déclaration publiée le 8 août 2019 et signée par Eddie Mwitwa, président du Forum Oasis, le Forum a énuméré quelques-uns des amendements de la Constitution notables proposés qui constituent une source d’inquiétude, tels que la suppression de la classification du pays en tant qu’Étatmulticonfessionnel (amendement proposé au Préambule et à l’Article 4), l’augmentation des pouvoirs de l’Exécutif, un système de membres mixte pour élire les membres du Parlement, l’introduction d’un gouvernement de coalition, l’exercice continu des ministres du Cabinet jusqu’aux prochaines élections présidentielles, la prolongation du mandat du Parlement jusqu’à la prochaine date des élections présidentielles, la réintroduction des ministres adjoints, l’affaiblissement de l’indépendance du Judiciaire conformément aux amendements proposés à l’Article 144, la suppression de l’approbation des prêts devant être contractés par l’État par le parlement et l’élection des maires par les conseillers.
La Commonwealth Lawyers Association, la Commonwealth Magistrates’ and Judges’ Association, l’Institut de l’ordre international des avocats pour les droits de l’homme, la Commission internationale de juristes, la Judges for Judges Association, Lawyers’ Rights Watch du Canada et le Southern Africa Litigation Centre (SALC) comptent au nombre des organisations internationales qui ont condamné le Projet de loi. Dans son document de politique générale sur les impacts éventuels des amendements proposés sur le Judiciaire en Zambie, le SALC conclut que :
Pour s’assurer que les amendements à la Constitution respectent l’État de droit, les législateurs en Zambie doivent être conscients des principes et normes du droit international. Il est également important d’observer les processus adoptés dans les pays voisins de la région, afin de déterminer si l’adoption d’une nouvelle loi est susceptible d’être effective dans le contexte zambien. Des préoccupations quant aux amendements constitutionnels proposés ont été soulevées par la Zambian Law Society, les partis de l’opposition, la société civique ainsi que le public général. Toute menace pesant sur l’indépendance du Judiciaire constitue un problème sérieux, susceptible d’ébranler sérieusement l’État de droit, s’il n’est pas réglé. Les amendements constitutionnels doivent en conséquence faire l’objet de délibérations méticuleuses pour se protéger contre ce risque.
Dans un éditorial récent, le News Diggers, basé à Lusaka, déplorait le fait que, malgré les cris des citoyens de Zambie, de la société civile, de l’Église et des experts locaux de la Constitution, le gouvernement de Zambie a déposé au Parlement le Projet de loi rejeté.
Le journal avance que le Patriotic Front (PF) au pouvoir ne veut pas de Constitution qui soit nette et ferme, il préfère une Constitution pouvant être manipulée, à qui ils peuvent dire quoi faire, non pas une Constitution qui leur dit comment gouverner. Ils prospèrent sur le dos des lacunes de la Constitution. En fait, même lorsque la loi est claire, ils déforment les règles pour qu’elles s’adaptent à leur agenda. Ceci a été l’habitude du parti au pouvoir.
Le plan fatal du système pour manipuler l’issue du Projet de loi d’amendement de la Constitution doit être combattu par tous les Zambiens bien intentionnés. Nous savons qu’il est très compliqué pour les citoyens qui observent à distance de savoir que leur gouvernement n’a pas de bonnes intentions ; laissons donc les intellectuels contribuer à la mobilisation de la conscience publique. Nous sommes assiégés en tant que pays, mais malheureusement, nous ne semblons pas disposer de la capacité à nous émanciper collectivement de ce mal.
Le Forum Oasis a également déploré le fait que le ministre de la Justice avait assuré à la nation en 2017 que les amendements constitutionnels ne viseraient qu’à perfectionner la Constitution actuelle, alors qu’il a été interloqué par l’introduction d’un certain nombre de dispositions de fond dans le Projet de loi (d’amendement) de la Constitution de Zambie, qui en réalité ne visaient pas à perfectionner la Constitution mais à altérer fondamentalement sa structure de base ainsi que les trois branches du gouvernement, s’il venait à être promulgué en loi.
Il s’est depuis fermement opposé à tous les amendements rétrogrades proposés, non seulement à la Constitution républicaine, mais aussi à d’autres lois qui régissent la nation, en notant que la Zambie ne vivait pas une crise constitutionnelle mais pourrait en connaître une si les amendements proposés à la Constitution venaient à être promulgués.
Le Forum a appelé l’Exécutif à retirer le Projet de loi (d’amendement) de la Constitution de Zambie n° 10 de 2019 de l’Assemblée nationale, afin d’autoriser des consultations et un dialogue plus vastes et significatifs sur les éventuels amendements à la Partie III de la Constitution (Déclaration des droits), par le biais d’un référendum organisé au moment opportun, clairement annoncé et bien mené dans un avenir proche.
Une analyse détaillée du Projet de loi par le SALC est consultable ici.