Les autorités zambiennes ont continué à utiliser les institutions étatiques pour museler la presse indépendante. Les mesures de répression semblent toujours s’accentuer autour des périodes électorales. La dernière victime est Prime Television qui a fait l’objet d’une suspension d’un mois de sa licence de diffusion, tout comme la station radio privée Valley FM ; et les deux licences des stations radio Ngoma et Kafue ont été annulées en raison de violations liées au contenu relatif à la couverture des élections législatives que le parti au pouvoir a perdues.
Lors de l’annonce de la suspension, Josephine Mapoma, secrétaire du conseil d’administration d’IBA, a déclaré que Prime Television avait été suspendue en raison d’éléments non professionnels lors de ses diffusions, liés à une couverture partielle, à des actualités partisanes, à un contenu susceptible d’inciter la violence et au recours à des violences verbales.
Elle a ajouté qu’au cours de la suspension, la station devrait mener une formation en interne en matière de déontologie journalistique de base et de techniques d’écriture des actualités.
Quelques jours avant la suspension, l’organisation de surveillance de la liberté des médias, le Réseau africain de la liberté d’expression (AFEX), a fermement condamné les récentes attaques menées par les membres affiliés du parti au pouvoir en Zambie, le Patriotic Front (PF), à l’encontre de Prime Television établie à Lusaka, la capitale du pays.
La chaîne de télévision privée a fait l’objet d’attaques suite à son compte-rendu des élections législatives à Sesheke dans l’ouest de la Zambie, que le parti au pouvoir a incontestablement perdues.
« Nous déplorons également la complicité de l’organisme de contrôle des médias, IBA, dans ces attaques qui sont sans aucun doute menées pour faire taire les médias qui se montrent critiques. Prime TV, comme tout autre média en Zambie, bénéficie d’un droit garanti par la Constitution d’effectuer son travail journalistique librement et sans aucune interférence. L’hostilité dont a fait l’objet Prime TV est donc un affront à l’article 20 de la Constitution républicaine de Zambie. Le système de gouvernance de la Zambie dépend du principe démocratique selon lequel la liberté d’expression est cruciale pour la participation des citoyens aux processus de gouvernance du pays. En accord avec ce principe, AFEX appelle les membres du parti PF à mettre fin à cette intolérable attitude à l’égard des avis et opinions divergents exprimés par les médias critiques en Zambie », peut-on lire dans sa déclaration.
Governance Elections Advocacy and Research Services (GEARS), une organisation de la société civile de premier plan axée sur la gouvernance en Zambie, a déploré l’assaut à l’encontre de la liberté des médias mené par l’Independent Broadcasting Authority (IBA) et exercé contre les médias perçus comme étant critiques à l’égard du gouvernement et du parti au pouvoir.
Selon son directeur général, Macdonald Chipenzi, la décision d’IBA de continuellement harceler, intimider et suspendre ces institutions constitue une menace à la démocratie qui va à l’encontre de l’existence de médias libres et divers nécessaires à l’expression d’opinions diverses et différentes sur le développement de la nation.
« L’application sélective de sanctions uniquement aux médias qui se montrent critiques à l’égard du gouvernement et du parti au pouvoir est évidente pour tous. Par conséquent, nous appelons l’IBA à être impartiale et à traiter tous les médias de manière égale si la volonté est de faire appliquer le professionnalisme et la déontologie dans le contenu des actualités, les reportages, la couverture médiatique et l’analyse réalisée par les médias. Ce qui est triste, c’est que la suspension de Prime TV s’est produite au moment où des membres du parti au pouvoir se sont plaints du fait que la station les aurait empêchés de remporter les élections législatives partielles à Sesheke », a-t-il déclaré.
Le résultat des élections à Sesheke n’a pas été bien accueilli par le gouvernement et le parti au pouvoir qui ont utilisé les institutions étatiques pour harceler, intimider, transférer, rétrograder et destituer plusieurs fonctionnaires, enseignants et maintenant médias au motif qu’ils avaient contribué à la perte par le parti au pouvoir des élections législatives et en prétextant d’autres raisons.
D’après GEARS, l’IBA qui est maintenant utilisée comme outil de suppression et d’oppression des médias n’a pris aucune mesure à l’égard d’autres médias dont les reportages et la couverture médiatique étaient favorables au parti au pouvoir et dont les reportages et la couverture médiatique sur les autres acteurs du processus démocratique manquaient de professionnalisme et de déontologie.
M. Chipenzi a appelé Prime TV et les autres stations affectées à intenter une action en réparation et à exiger que justice soit faite.
« Les mesures d’IBA à l’encontre des médias sélectionnés présagent déjà d’une couverture médiatique inéquitable, non libre et non indépendante du processus électoral avant les prochaines élections législatives de Kafue, Bahati et Roan, car les autres médias pourraient se montrer réticents à couvrir et exposer courageusement les irrégularités électorales, les chantages et la corruption associés aux campagnes électorales. Elles font également craindre une censure totale des voix critiques par les médias avant les élections présidentielles de 2021 par crainte d’être suspendus ou fermés par l’IBA. La suspension et l’annulation des licences de diffusion ne tiennent également pas compte des familles dont les moyens de subsistance dépendent de Prime TV et des autres médias affectés, aggravant ainsi un taux de chômage déjà élevé dans le pays ».
Le 26 janvier 2019, Davies Mwila, Secrétaire général du parti au pouvoir, le Patriotic Front (PF), a congédié les journalistes de Prime TV d’une conférence de presse qu’il tenait. Il a également déclaré publiquement que Prime Television n’était pas autorisée à couvrir les activités de son parti politique. Les propos du Secrétaire général du PF ont également incité les cadres du parti à se montrer violents à l’égard des journalistes travaillant pour la chaîne de télévision.
Lors des attaques les plus récentes à l’encontre de la chaîne, des jeunes soupçonnés de faire part d’une milice privée favorable au PF auraient agressé trois journalistes de la chaîne lors de différents incidents survenus en l’espace de deux semaines. Le 14 février 2010, des membres de la milice privée ont également agressé Wells Chifunda, chroniqueur judiciaire pour Prime TV. Six jours avant cet incident, le 8 février 2019, des partisans du parti ont physiquement agressé Lloyd Kapusa, un journaliste de Prime TV, et confisqué son ordinateur portable, tandis qu’un journaliste de la chaîne de télévision, Kazela Habwanda, a également été attaqué par le groupe lors d’un autre incident le 5 février.
Certains acteurs de l’État ont également encouragé ces attaques en diabolisant ouvertement le média lors de leurs annonces publiques. Le 13 février 2019, la ministre de l’Information et des Services de diffusion, Dora Siliya, a accusé Prime TV, lors d’une conférence de presse, d’avoir rendu compte de manière dramatique des incidents violents qui se sont produits lors des élections législatives à Sesheke, une ville située dans la province occidentale de la Zambie.
Antonio Mwanza, directeur adjoint chargé des médias du parti PF, a également été cité le 13 février 2019 par un blog en ligne, TP News, comme déclarant que « Prime TV doit être fermée… il a déjà été demandé à l’IBA [l’organisme de contrôle des médias] d’annuler la licence… ».
Suite aux déclarations hostiles de ces puissants représentants de l’État, l’Independent Broadcasting Authority (IBA) a envoyé le 15 février 2019 une lettre à Prime TV demandant la politique éditoriale de la chaîne et les enregistrements de son émission politique, News Bulletin and Oxygen of Democracy Programme. La demande faisait suite à une plainte du Secrétaire général du parti PF accusant Prime TV d’une couverture médiatique partiale et non déontologique dans ce bulletin d’information politique.
Bien que le président du conseil d’administration d’IBA, Chanda Kasolo, ait assuré que cette décision avait été prise après de vastes consultations et interactions avec les autres acteurs, sans aucune ingérence politique, l’ingérence politique est indéniable.
Il a déclaré que s’il y avait eu une quelconque ingérence et qu’il avait été en désaccord, il aurait démissionné et n’aurait pas autorisé qui que ce soit à l’utiliser.
L’Independent Broadcasting Authority a depuis émis 22 licences radio, en a suspendu deux, celles de Prime TV et Valley FM, et annulé les deux licences des stations radio Ngoma et Kafue.
Il y a peu de temps, le ministre du Territoire et des Ressources naturelles, Jean Kapata, un haut représentant du parti politique PF, a menacé de déclencher une attaque à l’encontre de Prime TV. Kapata a été cité affirmant « à Prime TV, nous ne vous mettons pas en garde, nous vous affirmons que si vous continuez ce type de reportages, décriant le gouvernement jour après jour, ces femmes que vous voyez ici viendront et fermeront votre studio ».
Le 28 février 2019, l’IBA a convoqué la direction de Prime TV et exigé que la station présente ses excuses au Secrétaire général du parti PF dans un délai de 14 jours pour avoir prétendument couvert de manière partisane les sujets liés au parti.
D’un autre côté, les partis politiques de l’opposition et les organisations de la société civile se sont plaints du monopole exercé par les médias publics Zambia National Broadcasting, Times of Zambia et Zambia Daily Mail, qui ne couvrent sur le plan politique que le PF au pouvoir et censurent les autres voix.