Cela fera bientôt 3 ans que deux régions du Cameroun sont touchées par une crise qui a évolué des revendications corporatistes des syndicats d’avocats et d’enseignants à une guerre de sécession en passant par des actions de désobéissance civile et par des manifestations plus ou moins pacifiques. En trois ans, la violence a lentement évolué, et parmi les victimes qui se comptent par milliers, figurent en bonne place les enseignants. Ces derniers affectés dans des zones de conflit parfois désertées même par les autorités administratives bénéficiant pourtant de la protection de l’armée, font face à un difficile dilemme : faut-il sauver sa vie ou son matricule ?

Depuis le début des troubles en zone anglophone, les enseignants sont particulièrement visés, vu qu’au départ, la résistance consistait à empêcher les cours de se tenir normalement pour protester contre la « francophonisation » de l’éducation anglophone. Les enseignants ou élèves qui, téméraires, essayaient de braver les interdits subissaient des menaces de la part des grévistes ou de leurs supporters.

Quand les attaques commencent, les cibles sont bien entendu les établissements scolaires, les enseignants et les élèves. Des « commandos » sont constitués, et font des incursions dans les établissements scolaires qui refusent de se conformer aux différents mots d’ordre. Ce qui au départ ressemblait à de l’intimidation prend des proportions inquiétantes. Les « commandos » commencent à faire des victimes, terrorisant et blessant les élèves, incendiant écoles et véhicules appartenant aux enseignants.

Ainsi, le lycée de Wum, le lycée bilingue de Nitob, le lycée de Bayele, le lycée bilingue de Ndop, l’école publique de Kikai, l’école publique de Babessi, l’école bilingue de Jakiri, entre autres, sont totalement ou partiellement consumées par le feu. Des véhicules d’enseignants sont incendiés au lycée d’Atiela, au lycée de Nkambe, au lycée de Nkwen, au lycée technique « canadien », et au lycée bilingue de Bamenda.

Mais ça ne suffit pas. Des enseignants sont tués ou enlevés à Kosala, à Batibo, à Muyuka, à Buea, à Kumba, etc. Le cas le plus récent, c’est celui du professeur d’histoire-géographie en service au lycée bilingue de Nitob, qui a été enlevé puis décapité, et dont la tête a été jetée à Nkwen, en plein Bamenda.

La question qu’on peut légitimement se poser, c’est « que font les enseignants dans ces zones hautement à risques ? » Hé bien, la réponse est simple : ils n’ont pas le choix. Ou alors, ils en ont un, mais très difficile à faire.

En effet, quand la crise a commencé à prendre de l’ampleur, plusieurs enseignants ont préféré déserter les zones de guerre pour préserver leur vie. Les autorités, dans le souci de donner l’illusion de normalité et pour soutenir la thèse que tout va bien et que la côte d’alerte n’est pas atteinte, ont multiplié des mesures pour contraindre ces derniers à rester en poste. Des recensements du personnel, menaces de suspension de solde pour les agents absents du service, et création de conseils de discipline régionaux par le ministre des enseignements secondaires ont fini de convaincre les collègues à rester en poste au péril de leur vie.

Pourtant, aucune mesure n’est prise pour assurer la sécurité des agents de l’état en service dans ces zones. Les enseignants doivent donc faire face à deux menaces : d’un côté, les groupes armés qui peuvent fondre sur n’importe quel établissement et causer des dégâts irréversibles, et de l’autre les autorités qui font peser la menace de la suspension de solde sur leurs agents.

Ce que le gouvernement semble oublier, c’est que la sécurité de ses agents, et précisément la protection des enseignants est de sa responsabilité, conformément à l’article 37 alinéa 2 de la loi d’orientation de l’éducation au Cameroun qui stipule clairement que « l’État assure la protection de l’enseignant et garantit sa dignité dans l’exercice de ses fonctions ».

Que faire donc, puisque l’État se montre incapable de protéger les enseignants ? Dans ce cas, la décision revient aux enseignants eux-mêmes, mais s’il faut choisir entre son matricule et sa vie, avouons que le choix est vite fait. 

Photo : M. E. Kindzeka / VOA