Il est courant dans les pays qui utilisent le système juridique anglais d’entendre l’expression suivante : « Il importe qu’il y ait non seulement justice, mais aussi apparence de justice! ». On doit suivre le chemin de la stricte adhésion aux principes cardinaux du droit à un procès équitable pour parvenir à cette justice.
Le dossier contre le Dr Stella Nyanzi dans l’affaire pénale numéro 1115 de 2018 au tribunal d’instance de Buganda Road suscite des préoccupations quant au fait de savoir si un procès équitable lui a été accordé. Il convient de dire que de nombreux accusés en Ouganda font face à des destins similaires ou pires, au cours de leurs procès.
La première question devant être posée est la suivante : le dossier contre le Dr Nyanzi Stella aurait-il même dû être monté ?
Poursuite injuste ?
Le 2 novembre 2018, le Dr Nyanzi a été arrêtée au motif de ce que la police a décrit comme une communication offensante sur son profil Facebook, qu’elle a publiée le 16 septembre 2018. Elle a été inculpée de deux chefs d’accusation, de cyber-harcèlement et de communication offensante, en vertu des Sections 24 et 25 de la Loi relative à l’utilisation abusive de l’informatique de 2011. Les accusations ont été validées et les poursuites ont été lancées, bien que les deux sections soient contestées auprès de la Cour constitutionnelle.
Il est important de noter que ce procès diffère de l’accusation précédente, dans laquelle elle était accusée d’avoir appelé le président de l’Ouganda, Yoweri Museveni “pair of buttocks” (littéralement une paire de fesses).
Chapter Four Uganda, Uganda Law Society, et Unwanted Witness Uganda remettent en question les sections contestées car elles sont incompatibles avec ou enfreignent les Articles 28(2) et 29(1)(a) de la Constitution de la République d’Ouganda, et doivent donc être déclarées nulle et non avenues. La première requête contre la loi a été déposée en février 2016.
La question est alors de savoir pourquoi l’affaire a pu être poursuivie sur la base de chefs d’accusation faisant l’objet d’une requête constitutionnelle ? Il est inéquitable que des poursuites se fondent sur une loi remise en question car jugée non constitutionnelle. Le procès aurait dû par conséquent être interrompu dans l’attente de l’issue des requêtes constitutionnelles.
Dans le cas de l’affaire portée à Cour suprême de Charles Onyango Obbo et Andrew Mujuni Mwenda contre le Procureur général, Justice Mulenga a observé que :
La Constitution est la loi de base, dont toutes les lois et actions tirent leur validité. Lorsque la validité constitutionnelle d’une loi ou d‘une action dépend d’un jugement de la Cour constitutionnelle, il est important d’accélérer le jugement afin d’éviter d’appliquer une loi ou de prendre des mesures dont la validité est discutable.
Il est donc imprudent de poursuivre un procès au pénal lorsque la constitutionnalité des chefs d’accusation est en question.
Dans l’affaire Davis Wesley Tusingirwe, la Cour constitutionnelle était d’accord avec l’affaire Charles Onyango Obbo et a demandé sa suspension à la Cour anti-corruption :
Il a été avancé que la suspension temporaire de toutes poursuites pénales au HCACD affecterait considérablement et défavorablement les opérations du système judiciaire pénal dans ce pays et que cela entraînerait une déroute. Nous estimons que cela n’est pas nécessairement le cas. D’abord, la position de la common law est que lorsque la constitutionnalité d’une poursuite, d’une loi, d’une action ou d’une omission est remise en question et qu’une preuve prima facie est avancée, alors ces poursuites, lois, actions ou omissions doivent être suspendus.
Au cours du procès de Shaka Robert au Tribunal de première instance de Buganda Road dans l’affaire pénale numéro 328 de 2015 dans laquelle il était accusé de communication offensante, des observations associées ont été présentées par l’avocat au tribunal et le tribunal a suspendu les poursuites dans l’attente de l’issue de la requête.
Dans l’affaire Geofrey Kazinda contre le Procureur général, la Cour d’appel s’est référé à Justice B.J Odoki, qui était d’avis comme Justice Mulenga, que le procès ne pouvait bénéficier de pouvoirs discrétionnaires de suspension ou non des poursuites que si une partie aux poursuites judiciaires était la partie ayant déposé la requête en son nom visant remettre en question les sections en vertu desquelles elle est accusée. Cela a pour but d’éviter les requêtes sans fondement devant la Cour constitutionnelle, dans l’intention d’interrompre les poursuites pour gagner du temps.
Dans le cas de Stella, les deux délits étaient déjà remis en question par d’autres individus et des organisations réputées.La question est donc pourquoi continuons-nous à assister à une augmentation des poursuites qui se fondent sur des lois contestées devant la Cour constitutionnelle ?
Violation du droit à un procès équitable
Le Dr Nyanzi a-t-elle bénéficié d’un procès équitable, en particulier eu égard aux droits de la défense et au principe d’égalité des armes ?
La Constitution de la République d’Ouganda prévoit dans l’Article 28 le cadre de ce qui constitue une audience équitable concernant les droits et les obligations de caractère civil et le bien-fondé de toute accusation en matière pénale contre une personne.
L’Article requiert notamment qu’une personne accusée se voit accorder le délai et les installations adéquats pour préparer sa défense, ainsi que la possibilité d’interroger les témoins et de citer à comparaître d’autres témoins devant le tribunal. Le strict respect de ces droits constitutionnels minimum est en question.
En effet, ces préoccupations ont formé la base de la demande de révision déposée devant la Haute Cour par l’équipe de la défense. Au total, neuf motifs ont été présentés dans la Demande numéro 24 de 2019, demandant à la Haute Cour d’examiner le dossier de l’instance inférieure pour déterminer l’exactitude, la légalité et la conduite du procès dans les conclusions et ordonnances consignées depuis le 1er juillet 2019.
Bien que la demande n’ait pas abouti, l’ordonnance de révisionde M. Justice Jane Frances Abodo soulève des questions quant à savoir si le droit à se voir accorder le délai et les installations adéquats pour préparer sa défense et le droit à une audience équitable eu égard au principe d’équité des armes ont été observés, étant donnés les facteurs et circonstances de l’affaire.
Le droit à la défense
Tout individu accusé d’un délit pénal a le droit de se défendre contre les accusations, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat Pour que le droit à la défense soit significatif, l’accusé doit se voir accorder le délai et les installations nécessaires pour préparer sa défense.
Dans ce cas, le Dr Nyanzi ne s’est vue accorder que deux semaines pour préparer et argumenter sa défense. Bien que l’affaire ait été ajournée sept fois après que l’affaire ait été jugée recevable le 21 juin, la période au cours de laquelle elle a pu se préparer, citer des témoins à comparaître et présenter sa défense était très brève. La défense a exprimé la volonté de citer à comparaître 20 témoins.
Pour évaluer ce qui constitue un délai adéquat pour préparer une défense, plusieurs facteurs, tels que la nature des poursuites, les circonstances factuelles de l’affaire en question, la complexité de l’affaire et l’accès de l’accusé aux preuves ainsi qu’à son avocat et à des experts, doivent être pris en compte.
Une évaluation prudente de ces facteurs montrent clairement qu’un délai de deux semaines est très bref pour que l’accusée puisse préparer et présenter sa défense. Toute préoccupation relative à l’admissibilité et/ou au témoignage de l‘un des témoins de la défense ne doit pas constituer un motif autorisant le tribunal à rendre une fin de non–recevoir à la défense et à justifier la restriction de la période de la défense à un délai aussi court, en particulier lorsque l’accusé est détention provisoire.
Il va sans dire qu’il convient de trouver le juste équilibre entre le droit à un procès dans un délai raisonnable et le droit de disposer d’un délai adéquat pour préparer une défense. Refuser à l’accusé le droit à un délai adéquat, dans ce cas à sa propre demande, pour préparer sa défense, va à l’encontre de l’objectif d’organiser un procès équitable dans un délai raisonnable. L’urgence à clôturer l’affaire est étrange.
L’accès à l’information qui est ou pourrait être nécessaire pour préparer la défense est une autre garantie importante qui ne semble pas avoir été respectée dans cette affaire. Il est consigné que les avocats de Stella ont demandé à consulter le dossier dactylographié des débats pour lui permettre de préparer sa défense. Il est également consigné que le juge a catégoriquement rejeté cette demande, sous prétexte qu’elle encouragerait la paresse de l’avocat. Elle a par ailleurs déclaré que le dossier des débats était volumineux et que les avocats de la défense avaient toujours été présents au tribunal pour prendre des notes.
Dans la demande de révision, la Haute Cour a jugé que le fait de ne pas avoir fourni à la défense le dossier dactylographié était atténué par d’autres facteurs, et que cela n’avait en aucun cas entraîné une erreur judiciaire dans le cas de l’affaire en question. Si le dossier était effectivement volumineux, n’est-ce pas une raison encore plus importante d’accorder à l’accusé le dossier dactylographié des débats et un délai adéquat pour se préparer ? Le non–octroi de l’accès au dossier compromet le droit de l’accusé aux informations nécessaires pour préparer sa défense et menace l’objet de la justice naturelle dans le traitement des affaires.
« Égalité des armes »
Le dernier élément essentiel du droit à une audience équitable qui a été enfreint dans le cas de Stella est le principe d’égalité des armes entre les parties.
Dans toute affaire pénale, il est important que les deux parties soient traitées de manière à s’assurer qu’ils bénéficient d’une position égale sur le plan procédural au cours du procès. Cela est fondamental pour leur capacité à plaider équitablement leur cause.
Dans ce cas, il est noté que l’accusation avait plus de trois mois pour présenter trois témoins à charge et faire valoir son point de vue. Il est donc étrange qu’alors qu’elle était la partie défenderesse, le Dr Nyanzi ne se soit vue accorder que deux semaines pour préparer et présenter sa défense. En quoi cela est-il équitable ?
Le principe d’égalité des armes est crucial dans les affaires pénales lorsque l’accusation dispose de tous les moyens de l’État contre un citoyen. Ce principe a été enfreint par l’écart flagrant de temps accordé aux deux parties pour faire valoir leur point de vue, ce qui a affecté le droit à citer à comparaître et interroger des témoins, à accéder aux informations et un éventail d’autres droits essentiels à l’exercice du droit à un délai et des installations adéquats pour préparer une défense.
* La American Bar Association’s Center for Human Rights suit le procès de Stella dans le cadre l’initiative TrialWatch de la Clooney Foundation for Justice. Consultez le rapport complet.