Notre voisine du quartier a perdu son mari. Comme le voudraient les civilités africaines qui stipulent que l’on se doit d’assister son prochain dans les moments de bonheur mais également dans les moments de malheur, je suis allée lui témoigner ma compassion, lui dire « Yako »[1].

L’atmosphère était lourde dans la cour de madame Kouassi. Abordant la quarantaine, cette pauvre dame venait ainsi de perdre son époux. En pareille situation, la cour était bondée de monde. Les cris et les pleurs, qui déchiraient quelquefois le silence pesant, laissaient entrevoir la douleur qui prévaut en ces moments de perte d’un être cher.

Je trouvai madame Kouassi assise dans un coin de la cour, sur une natte à même le sol. La tête recouverte d’un voile. Elle était encadrée par des vieilles femmes de la communauté. Bien qu’affectée par la mort de son mari, il lui faudra bien de force et de courage pour pouvoir satisfaire au besoin de la tradition : le veuvage, rite que les veuves accomplissent à la mort de leur mari. Les parents de son défunt mari sont arrivés du village pour l’assister et surtout pour lui faire suivre le veuvage. 

Deux poids, deux mesures

Dans les sociétés africaines, à la mort de l’époux, la belle-famille a la charge de faire suivre les rites du veuvage à l’épouse survivante. Veuvage allant parfois de trois mois à un an. Ces rites, nombreux et variés, ont la particularité d’être généralement dégradants et contraignants pour les femmes. La veuve est obligée d’arborer une tenue vestimentaire appropriée.

Chez certains groupes ethniques, on exige le rasage de la tête de la veuve, qu’elle passe ses journées assises à même le sol sous le soleil, qu’on lui fasse son bain. La veuve doit constamment présenter une attitude triste. D’autres vont jusqu’à exiger que la femme boive l’eau de bain du cadavre de son mari pour prouver qu’elle n’a rien à voir avec la mort de ce dernier.

En Afrique, quand c’est la femme qui meurt, le veuf n’a de contrainte que d’enterrer la défunte. Les hommes ne subissent, en général, aucun rite. Ils sont même encouragés à se remarier au plus vite. Tandis que les veuves, quel que soit le contenu du rite de veuvage, se doivent de le suivre à la lettre, pour soi-disant honorer la mémoire du défunt. Elles sont souvent forcées à épouser l’un des frères du défunt. En cas de refus, elles se doivent de rester seules le plus longtemps possible.

Des voix s’élèvent, mais ne portent pas encore

Depuis 2011, le 23 juin a été déclaré la Journée internationale des veuves pour attirer l’attention sur les nombreuses difficultés que connaissent les femmes lorsqu’elles perdent leur mari. Beaucoup de personnes ignorent l’existence de cette Journée, et la célébration passe donc sous silence.

« D’une pratique purement symbolique autrefois, les rites du veuvage sont devenus un instrument de violences et de tortures physiques, psychologiques, morales et économiques », révèle Bernard Tondé (prêtre du diocèse de Bondoukou en Côte d’Ivoire), dans son livre « Le veuvage en Afrique ».

Comme lui, je plaide pour une humanisation des rites de veuvage. La maltraitance des veuves est une réalité qui mérite une attention particulière du législateur et du politique.

Aucune femme ne doit être privée de ses droits après le décès de son mari.

[1] Terme d’ethnie baoulé dans le Centre de la Côte d’Ivoire qui signifie : je compatis à ta douleur.

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