Le succès des start-ups telles que Slack, BuzzFeed, flipkart.com et certaines sectes de l’économie à la demande telles qu’Uber et Airbnb faisaient toutes partie de la quintessence et de la diffusion de la culture des start-ups. Une culture qui est souvent vendue en utilisant les récits d’individus qui lâchent quelque chose de solide pour « poursuivre leurs ambitions », « travailler dans un espace qui valorise l’initiative » et « où l’adaptation rapide des idées » est chérie.
Bien sûr, cette culture a eu besoin d’espaces incarnant cela, ce qui a mené à la création de centres d’innovation inspirés de la Silicon Valley. Ces centres représentent une forme d’organisation commune destinée à soutenir les entrepreneurs, dont la plupart travaillent dans le secteur technique où ils peuvent tirer parti du savoir des autres et s’organiser par eux-mêmes pour permettre l’innovation, qui est souvent confondue avec l’invention.
Il s’agit souvent d’espaces de travail partagés, à la mode et glamours, situés dans des zones embourgeoisées ou, dans certains cas, provocant l’embourgeoisement, une forme contemporaine de colonisation de l’espace. Ils ont généralement du café à disposition, dans des intérieurs bien décorés, minimalistes et « authentiques », où des mots comme « agile », « frugal », « start-up légère » et « solutions » sont souvent entendus.
Entre septembre et octobre, j’ai passé beaucoup de temps à l’Est du continent. Une grande partie de mon deuxième voyage à Kampala s’est déroulé dans un centre d’innovation lancé après l’élection de l’Ouganda comme « pays ayant le meilleur esprit d’entreprise » du monde. Son objectif est de « combler le fossé entre les start-ups et les investisseurs ». Puis j’ai passé un certain temps à Kigali, dans un centre du même type, mais avec une mission différente.
Ayant fréquenté de nombreux centres d’innovation, tant sur le continent qu’ailleurs, j’ai été frappé de constater à quel point la plupart d’entre eux tendent à être similaires, transposés d’une ville ou d’un pays à l’autre. Tous arborent des messages « inspirants » partout sur les murs sur la discipline et le fait de croire à ses rêves, et des platitudes sur la nécessité de garder une attitude positive. Il est remarquable de voir à quel point ces messages s’axent sur la nécessité pour l’individu de faire plus ou de faire quelque chose de différent pour que les choses puissent fonctionner, en renforçant subtilement l’idée que tout ce qu’il faut pour « y arriver », c’est de « se prendre en main ».
Compte tenu de l’ampleur mondiale de la « révolution de l’innovation », il est, d’une certaine façon, compréhensible que la structure physique et le modèle organisationnel des centres soient si similaires à différents endroits. Bien qu’il soit possible de se demander si les structures des centres tels qu’ils sont actuellement conçus sont adaptées à tous les contextes, c’est leur déconnexion avec les réalités sociales dans lesquelles ils se situent qui m’inquiète le plus.
Si vous échouez, c’est parce que vous n’étiez pas assez discipliné, pas assez positif et que vous n’avez pas assez travaillé, et non parce que ce que vous avez essayé de faire l’a été pendant une période d’inégalités mondiales de masse, agravée par les échecs de la gouvernance nationale, les crises environnementales, un manque de capital social et parfois même des réseaux de soutien. Le message devient « la société n’échoue pas, c’est vous qui échouez », une logique abusive qui fait peser toute la responsabilité sur les individus.
Un autre collègue qui a récemment passé du temps à la Silicon Valley et moi-même avons récemment discuté de la façon dont la plupart des centres d’innovation, bien qu’ils aient repris la structure et l’organisation de la Silicon Valley, n’ont pas été en mesure de créer un écosystème d’innovation similaire, la partie la plus importante de sa culture, c’est-à-dire la capacité à adapter constamment ses idées, et ont tendance à échouer rapidement. Mais je me posais plus tard des questions sur les différentes contraintes structurelles telles que la facilité de création d’une entreprise et le manque de filets de sécurité en cas d’échec et de manque de financement, qui peuvent contraindre la capacité à adapter facilement une idée.
Et cela ne veut pas dire que ceux de la Silicon Valley ne sont pas confrontés à des contraintes semblables, simplement que la manière dont elles se manifestent dans les différents contextes, en fonction d’un certain nombre de facteurs hors de contrôle des individus, tels que nos différences d’identité, peut affecter la capacité à attirer des investisseurs et d’autres formes de financement, ainsi qu’un large éventail d’autres facteurs socioéconomiques.
Je n’ai rien contre ces centres et je reconnais qu’ils offrent un espace important aux personnes qui, dans certains cas, seraient privées d’accès à Internet et à des ressources et des relations très utiles, en particulier pour quelqu’un qui a fait partie de la création d’un organisme à but non lucratif qui, à bien des égards, avait des points communs avec le modèle des start-ups.
Et je ne dis pas que les individus qui les utilisent devraient simplement abandonner et attendre la révolution. Mais beaucoup d’éléments sur ces centres et le battage actuel sur « l’innovation » sur le continent me mettent vraiment très mal à l’aise. En nous vendant des images séduisantes, presque trop belles, de personnes qui y arrivent « contre toute attente », les exceptions, dont les idées innovantes décollent, nous sont présentées comme étant la règle.
C’est presque comme si la façon dont les centres d’innovation sont actuellement conçus était le signe d’une imposition beaucoup plus profonde, une manière évoluée de privatiser les échecs sociétaux et de veiller à ce que tout cela soit internalisé et reproduit. C’est une belle idée de croire que tout ce qu’il faut pour y arriver, c’est de la discipline, de l’ambition et une pensée positive, mais la réalité est que ces dernières ne vont pas faire disparaitre des injustices structurelles profondément ancrées.
Le battage sur l’innovation ne va nulle part, dans un avenir proche, et surtout pas en poussant à la création de quartiers d’innovation dans les grandes villes à travers le monde. Mais en revanche, je pense que ce qui doit disparaitre, c’est l’idée qu’il s’agit d’une force neutre, afin que nous puissions réimaginer et recréer tout cela de manière à être plus près des réalités socioéconomiques dans lesquelles ces centres sont situés. Et il faut aussi consacrer une réflexion accrue à ses fondements idéologiques afin de s’assurer que cela ne continue pas à être une manière évoluée et subtile de reprocher aux individus les pièges créés par les injustices structurelles et les échecs plus généraux, afin de les faire disparaitre.