Les perspectives politiques au Zimbabwe, tout du moins après les récentes élections générales de 2018, ont laissé une impression d’immédiateté et d’urgence. Sous l’impulsion des jeux de pouvoir où, au fond, personne ne gagne, que représentent nos élections nationales ou par leur nature extrêmement polarisée, nous avons tendance à ne pas voir plus loin que le bout de notre nez pour comprendre ce que tout cela signifie. Et cela, dans la plupart des cas, fait que notre conscience politique nationale s’anime de manière éphémère/temporaire ou éclairée sous la forme d’une fidélité bornée aux processus politiques que nous avons chacun vécus à l’origine, que ce soit en tant qu’observateur ou en tant que participants directs actifs récents ou de longue date.

Le seul problème est qu’après l’« événement » des élections de 2018, la concrétisation de l’excitation suscitée par « le moment/l’événement » quant au processus précédent était et reste largement responsable de nos niveaux de conscience nationale actuels, tant à propos des élections que du populisme.

Au-delà d’être simplement populiste, notre conscience nationale se préoccupe de ce qui est immédiat. Qu’il s’agisse de problèmes liés aux taux du dollar américain sur le marché parallèle (que nous voulons curieusement revendiquer comme étant les nôtres) ou à des préoccupations liées à une politique très individualisée (et loyaliste), nous continuons à être des « court-termistes » quant à notre compréhension du rôle de l’État et du contrôle (ou de l’absence de contrôle) par ce dernier de l’économie politique nationale.

On peut avancer pour cela deux raisons principales. La première est que le règne depuis 38 ans (et ce n’est pas fini) du Zanu PF, le parti au pouvoir, a permis à de nombreux Zimbabwéens de comprendre que l’État n’avait plus l’intention de se reposer sur le peuple ni d’être véritablement démocratique. L’emprise de Robert Mugabe sur l’État en particulier et son adhésion à un nationalisme radical, sous-tendu par sa volonté d’adopter (en fin de compte) l’économie de marché, a anéanti le pragmatisme qui nous poussait à penser et à agir en faveur de la postérité nationale ou pour le bien collectif ou l’intérêt public. Au lieu de cela, on se retrouve avec l’impression générale que l’État est à la merci de ceux qui détiennent le pouvoir. Et que nous avons parfois l’occasion de tenter de choisir ces personnes au pouvoir tous les 5 ans.

La deuxième raison de l’existence des limites à ce qui serait une conscience nationale démocratique découle en grande partie d’une adoption croissante par le continent d’une culture du consumérisme motivée par une adhésion mondiale à l’économie de marché et néolibérale. Ce n’est cependant pas un problème qui ne concerne que le Zimbabwe. Il concerne toute la région de l’Afrique australe, où une adhésion par-delà les frontières au capital étranger/mondial (provenant d’Orient ou d’Occident) constitue la pierre angulaire du « développement économique ».

Ces raisons n’interdisent cependant pas de chercher à identifier la voie politique et économique que le Zimbabwe va probablement suivre au cours des cinq prochaines années. J’ai utilisé une période de cinq ans en grande partie parce que, déjà, les conversations qui ont cours dans ce Zimbabwe hautement polarisé commencent à présenter les élections prévues pour 2023 comme le prochain « grand » événement politique qui attirera l’attention nationale (avec l’assistance d’une diaspora qui a ses propres préférences).

La réalité sur la question, que beaucoup refuseront d’admettre à notre époque d’activisme politique  individualisé et influencé par la religion, est que bien d’autres événements que les élections vont se dérouler d’ici là. Et il est nécessaire d’essayer de prévoir ce qui va probablement se passer au cours des cinq prochaines années pour que nous puissions commencer à penser à notre pays au-delà de nos vies/difficultés quotidiennes et loyautés politiques très personnelles.

À savoir chercher à prédire la voie de façon générale et holistique que le Zimbabwe est susceptible de prendre au cours des cinq prochaines années. Et ceci est propre à l’économie politique du pays, à son développement social et à sa position dans les relations internationales. D’une manière un peu plus réaliste que si cela ne dépendait que des présupposés pour raisons religieuses et de superstition.

Dans le premier cas, l’économie politique nationale du Zimbabwe est irrévocablement fixée par la classe dominante actuelle, à savoir une économie de marché néolibérale ou très favorable au libre marché. Pour de nombreux Zimbabwéens, cela peut sembler raisonnable pour l’instant vu la façon dont tous les principaux acteurs politiques et économiques ont essayé de courtiser cette créature insaisissable appelée Investissement direct étranger (en reconnaissant l’aspect « hégémonique » qui l’accompagne).

D’où les déclarations attribuées à Mnangagwa et à ses représentants alors qu’il était au siège des Nations unies et à New York, annonçant que les Zimbabwéens devaient se préparer à « l’austérité », une phrase et une démarche qui est confrontée à une opposition grandissante de la part des une panacée).

sources mêmes de son origine théorique (un phénomène que nous constatons rarement en raison de notre acceptation du populisme et de l’absence de critique des idées qui considèrent le capital comme Cette intention politique signifie essentiellement que les Zimbabwéens vont assister à l’instauration d’une priorité accordée aux intérêts des capitaux privés quant à ce qui touche à l’économie nationale. Mais pas n’importe quels petits capitaux. Plus probablement des capitaux immenses assortis de conditions strictes pour obtenir un retour sur investissement élevé. Que les capitaux proviennent d’Orient ou d’Occident. Cela signifie également que l’État va se désengager des services publics et que le « libre marché » sera considéré comme la solution à tous les problèmes économiques.

Autant dire que même si le gouvernement de Mnangagwa obtenait l’attention des capitaux mondiaux qu’il cherche à attirer, cela ne serait que pour une courte durée. La période de grâce de son gouvernement sera limitée car le « libre marché » a tendance à être apolitique. Au moins par défaut. Une fois introduit dans la maison, il a tendance à vouloir l’occuper en intégralité. Et il n’a aucune pitié. De nos jours, l’austérité tend à se retourner de manière spectaculaire contre les personnes au pouvoir avec des conséquences politiques négatives pour ces derniers, mais aussi, plus gravement encore, contre les pauvres qui représentent la majorité.

Ainsi, au cours des cinq prochaines années, l’économie politique nationale se laissera bercer par un sentiment temporaire de sécurité apportée par les « investisseurs ». Mais ces derniers détaleront à la moindre opportunité et se feront menaçant si le profit prévu n’est pas au rendez-vous.

Deuxièmement, au niveau de la structure sociale du pays, cela signifie qu’il existera un conflit potentiel permanent au sujet de la menace de retrait de ces capitaux si désirés.

La disparition des services sociaux financés par des fonds publics laissant place à ceux du secteur privé entraînera l’enracinement d’un narcissisme individuel et matérialiste déjà existant qui minera la cohésion sociale collective de la société zimbabwéenne. Ainsi, tout le monde cherche déjà à « couvrir ses arrières » économiquement selon les caprices des « marchés » et chacun n’aura donc que peu de temps à consacrer à une conscience nationale progressiste et démocratique. Et il n’y aura aucune source immédiatement accessible pour cela.

Les jeunes Zimbabwéens chercheront d’autres sources de conscience nationale qui resteront toutefois largement ancrées dans la religiosité chrétienne et avec un espace limité dédié à la réflexion et aux valeurs objectives.

À moins d’être contrebalancée par de nouveaux mouvements sociaux et idéologiques, la société zimbabwéenne deviendra plus apolitique et adoptera une basse politique sectaire ou fondée sur les célébrités comme principal moyen de prétendre à un changement politique ou à l’activisme. Et dans la plupart des cas, en toute innocence. Comme si elle était motivée par un accès mondialisé aux médias sociaux et une présence qui créent des Zimbabwéens et des Africains de plus en plus semblables à l’image de l’« autre ». Grâce à un style de vie et des attentes de ce qui pourra être considéré comme la réussite (qui est le prochain Bill Gates d’Afrique, qui parmi vous ?)

En termes de relations internationales, la position du Zimbabwe reposera davantage sur la reconnaissance apportée aux superpuissances mondiales que sur sa propre interprétation contextuelle de sa position dans le monde. En grande partie parce que nous recherchons ce que le pouvoir en place appelle le « réengagement » et évoquons aussi le système du Commonwealth lors d’entretiens avec les médias, notre politique étrangère repose sur la poursuite désespérée d’une reconnaissance que nous ne contrôlerons jamais.

La constatation de ceux qui ont l’attention, par exemple, des Américains ou des Chinois formera le critère ultime de la façon dont nous nous présenterons au monde. Et ainsi nous nous intégrerons confortablement au récit néolibéral/de libre marché de long terme qui conviendra aux puissances mondiales existantes. Être « ouvert aux affaires » se révélera en fait être « ouvert au pillage et à l’abandon », sauf si des bénéfices matériels et politiques sont constatés. Notre désespoir, dirigé par la classe dominante en place, signifie que nous sommes plus susceptibles d’être des partenaires d’opportunité économique que de nous faire des amis qui nous soutiendront vaille que vaille.

L’approche par « la base et la superstructure » des marxistes (comme moi-même) peut aider à concevoir un dépassement du dilemme auquel nous sommes confrontés au cours des cinq prochaines années.

Une économie néolibérale/de libre marché (la base) est plus susceptible de conduire le pays vers des oligarchies et à une disparition des droits socioéconomiques garantis par l’État. La vie sociale (superstructure) des

Zimbabwéens mènera inévitablement à une dissipation de la conscience nationale critique, avec l’incitation et la complicité d’une montée de la religiosité, de la superstition et d’une course désespérée après l’argent. Aussi cru que cela puisse paraître.

Mais peut-être, peut-être, les contradictions internes et externes vécues de la voie néolibérale du gouvernement de Mnangagwa pourront-elles nous mener vers l’émergence d’une nouvelle conscience nationale. Une conscience motivée par une compréhension intrinsèque et organique des valeurs politiques et économiques démocratiques d’égalité pour tous.

Ceux qui appartiennent comme nous à la gauche démocrate et socialiste comprennent cette possibilité. Nous devrons simplement travailler encore plus pour atteindre les niveaux nécessaires de conscience nationale. Au cours des cinq prochaines années. Et plus.