Si terrorisme vient de terreur, « l’étiquette terroriste s’applique-t-elle également à la violence politique exercée par les gouvernements ? » Cette question posée par Brigitte L. Nacos dans son livre Médias et terrorisme fait penser au paysage judiciaire camerounais actuel en matière de lutte contre le terrorisme.

À l’instar de la majorité des États attaqués ou visés par des groupes terroristes à caractère religieux ou non, le Cameroun a adopté une loi pour la lutte contre le terrorisme, la Loi N° 2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme. L’idée, comme c’est le cas avec tout outil judiciaire, était la protection des citoyens grâce à des sanctions aussi dissuasives que punitives.

Lorsque cette loi a été annoncée puis adoptée, de nombreux citoyens et organisations nationales et internationales se sont soulevées. Le Mouvement pour la nouvelle indépendance et la démocratie ou MANIDEM (parti d’opposition) a déclaré qu’il s’opposera toujours fermement à cette tentative de répression légalisée. Le premier Vice-président de l’Union démocratique du Cameroun ou UDC (parti d’opposition également) Cyrille Sam Mbaka a précisé dans l’édition du 5 décembre 2014 du quotidien camerounais La Nouvelle Expression que cette loi terrorisera le peuple.

Le journaliste Ahmed Abba est l’un des nombreux otages symboliques du pouvoir crépusculaire de Paul Biya. – Achille Mbembe

Reporter sans frontières qui craignait pour la sécurité des journalistes a déclaré le 18 décembre 2014 que « Le texte prévoit que l’application de la loi relève exclusivement des juridictions militaires. Cette disposition est préoccupante, car l’usage de ces juridictions pour juger des civils devrait demeurer l’exception et non la règle. » Selon Amnesty International lors de sa campagne pour la protection des droits dans la lutte contre le terrorisme au Cameroun, « La loi antiterroriste adoptée récemment définit le terrorisme en des termes si vagues et généraux que les autorités peuvent traiter n’importe qui comme un suspect, ce qui a de lourdes conséquences. »

Toutes les craintes exprimées se sont matérialisées en ce début d’année 2017. Correspondant de RFI en langue haoussa à Maroua dans le Nord du pays, Ahmed Abba a été accusé d’apologie du terrorisme puis condamné pour blanchiment du produit d’actes terroristes malgré le fait qu’il aurait eu à dénoncer aux autorités des personnes et faits dangereux. Les leaders du mouvement ayant conduit à la crise anglophone qui secoue actuellement le gouvernement camerounais sont aujourd’hui accusés de terrorisme pour une rébellion en grande partie pacifique.

Les faits ont donné raison à ceux qui ont lancé l’alerte à propos du caractère dangereux et « terrorisant » de cette loi, de sa possible instrumentalisation contre des citoyens gênants ou dans le cadre de luttes de pouvoir. Tout citoyen camerounais devrait avoir peur car personne n’est à l’abri d’une accusation de terrorisme aujourd’hui. La principale raison de la possibilité de condamnations arbitraires et/ou d’accusations à tête chercheuse est la non définition dans la loi elle-même de ce qu’est le terrorisme, pourtant selon la Cour européenne des Droits de l’Homme « on ne peut considérer une loi qu’une norme énoncée avec suffisamment de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite en s’entourant au besoin de conseils éclairés, pour qu’il soit à même de prévoir les conséquences de nature à découler d’un acte déterminé ».

La terreur provoquée, qui reste la base de tout l’argumentaire autour du terrorisme, perd-elle sa couleur lorsqu’elle est légalisée ? – Befoune

Quel que soit son envie d’obéir aux lois pour une société pacifique et une vie paisible, aucun citoyen camerounais ne peut se mettre à l’abri d’une condamnation pour acte terroriste. Le but est-il de pousser les citoyens (ciblés ou non) à la faute pour leur imposer de lourdes sanctions exemplaires qui pousseraient leurs concitoyens à obéir non aux lois mais à ceux qui ont la capacité de les instrumentaliser à des fins politiques ? Si jamais c’est le cas, alors le philosophe camerounais Achille Mbembe avait raison lorsqu’il a déclaré que « Ahmed Abba est l’un des nombreux otages symboliques du pouvoir crépusculaire de Paul Biya.»

Le citoyen camerounais est deux fois terrorisé. Il est terrorisé par la menace du groupe terroriste qu’est Boko Haram qui sévit dans le Nord du pays, et il est terrorisé par la loi supposée le protéger mais susceptible de l’incriminer à tout moment; car tout acte peut être jugé terroriste selon l’angle de vue et l’appréciation des accusateurs. Alors je pose une nouvelle fois la question : si le mot terrorisme vient du mot terreur, l’étiquette terroriste s’applique-t-elle également à la violence politique exercée par les gouvernements ? Le mot « terrorisme » n’est-il valable que dans le cas où d’autres que ceux devant faire respecter la loi sont montrés du doigt ? La terreur provoquée, qui reste la base de tout l’argumentaire autour du terrorisme, perd-elle sa couleur lorsqu’elle est légalisée ?

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La militarisation de l’appareil judiciaire pour le jugement de civils pour des actes pouvant aller de la simple grève du personnel d’une institution à la demande aux pouvoirs publiques de revoir une position quelconque n’est-elle pas terrifiante ? En effet, selon la loi portant répression des actes de terrorisme, des citoyens peuvent être punis de la peine de mort pour perturbation du « fonctionnement normal des services publics, la prestation de services essentiels aux populations ou de créer une situation de crise au sein des populations » et pour tentative de « contraindre la victime, le gouvernement et/ou une organisation nationale ou internationale, à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque, à adopter ou à renoncer à une position particulière ou à agir selon certains principes ». Quel message souhaitent faire passer aux citoyens les autorités camerounaises ?

La lutte contre le terrorisme dans ce contexte semble utiliser la même arme que les criminels visés par la loi : la terreur. Il s’agirait de faire peur pour se faire obéir sans condition, pour ne souffrir d’aucune contradiction, pour imposer ses idées ou pour se venger. Je terminerai sur cette citation de Brigitte L. Nacos : « Un acte terroriste constitue en fait une action de communication. Pour le terroriste, c’est le message qui importe, pas la victime. »