Au cours des deux dernières années, plus de 50 gouvernements du monde entier ont coupé l’Internet ou limité l’accès à certains sites, comme les médias sociaux. En Afrique, de telles coupures se sont principalement produites dans le cadre des élections, la Gambie et l’Ouganda en étant les exemples les plus récents.
Le Kenya va se rendre aux urnes dans sept mois, et au vu des informations fournies par le patron de l’Autorité de régulation des communications kenyanne (CAK), la communauté numérique du Kenya va connaître des jours sombres.
Lors d’une conférence de presse la semaine dernière, le PDG de l’Autorité a annoncé que le gouvernement avait fait l’acquisition de systèmes de surveillance afin de contrôler les communications en ligne et hors ligne au cours de la période électorale, pour un coût de 20 millions de dollars US. Bien que l’Autorité affirme que cette mesure soit destinée à éviter que des scénarios tels que ceux qui se sont produits en 2007/2008 ne se produisent à nouveau, sans l’appui d’un instrument législatif adéquat, elle constitue une atteinte à la vie privée et pourrait être utilisée pour réprimer la liberté d’expression. Avertissant que s’ils le doivent, ils couperont Internet.
« Nous utilisons tous les moyens possibles pour éviter une situation dans laquelle le pays serait confronté à des tensions trop importantes, nous obligeant à prendre une mesure radicale », a affirmé Francis Wangusi, PDG de la CAK.
Pour un pays comme le Kenya, où les tensions politiques sont toujours fortes et sans cadre juridique en place pour contrôler les conversations en ligne, les déclarations de la CAK pourraient être utilisées à tout moment pour museler les médias sociaux qui constituent à l’heure actuelle l’unique forme de médias que le gouvernement ne peut menacer directement d’un retrait de publicité de la part du gouvernement.
On observe déjà une inquiétude croissante que les élections du mois d’août soient truquées en faveur du président actuel. Les médias sociaux joueraient par conséquent un rôle important dans le contrôle du processus électoral par le biais du journalisme citoyen. Qu’il s’agisse d’une coupure complète tel que cela a été le cas en Gambie ou d’une coupure des médias sociaux comme cela l’a été en Ouganda, les Kenyans se verront probablement refuser l’opportunité de partager aux conversations sur les élections et le processus électoral.
Le gouvernement a également modifié les lois afin de permettre la transmission manuelle des résultats électoraux, au détriment d’une transmission électronique, indiquant la possibilité d’une coupure complète.
Il sembleraient qu’en Afrique, ces coupures soient désormais une tendance qui n’a pas échappé à l’attention des défenseurs des droits relatifs à l’internet.
L’année 2016 est devenue l’année des coupures Internet en Afrique, avec un grand nombre de cas de coupures documenté enregistrées sur le continent. En outre, un nombre croissant de lois et politiques enfreignent les droits numériques ; et de nombreux blogueurs, journalistes et citoyens qui exerçaient leur droit de liberté d’opinion et d’expression en ligne ont été arrêtés, a affirmé Tomiwa Ilori, de Paradigm Initiatives Nigeria, lors du lancement d’un rapport sur les droits numériques en Afrique.
Le rapport, intitulé à juste titre « Choking the pipe », documente la manière dont les gouvernements africains enfreignent les libertés sur l’Internet par le biais de coupures, sur un continent qui a en réalité besoin d’un accès accru.
Une partie de ces actions sont mises en oeuvre par des multinationales qui, dans leur propre pays, respectent les libertés de l’information, mais sont prêtes à enfreindre les lois en Afrique à des fins de profits.
Une tendance commune des coupures d’internet sur le continent a été les ordres du gouvernement adressés aux sociétés de télécommunications et Internet privées de couper les citoyens de l’Internet, et ceci montre que les entreprises privées – y compris des entreprises internationales présentes dans des pays où elles respectent les droits des citoyens – continuent d’agir, dans de nombreux cas, à la demande des gouvernements d’Afrique, affirme une section du rapport.
Une observation partagée avec le journaliste et contributeur zimbabwéen d’Africa Blogging, Takura Zhangazha. Au cours d’une session de la conférence Re:publica 2016 pour discuter des élections africaines et des coupures des médias sociaux à Berlin, M. Zhangazha a fait remarquer que cette tendance était liée au fait que dans la plupart des pays d’Afrique, l’accès à l’Internet était considéré comme un privilège plutôt que comme un droit.
« L’accès à l’Internet n’est pas un droit dont il est attendu que chaque citoyen jouisse, comme l’eau, et par là même, le gouvernement traite l’accès à l’Internet davantage comme un privilège… Quand les sociétés de télécommunications présentent l’Internet comme une marchandise et non comme un droit, cela signifie en gros que l’accès à l’Internet devient un privilège de certains et non de la grande majorité », observe-t-il.
Si le taux de pénétration de l’Internet au Kenya est généralement supérieur à 70 %, essentiellement grâce aux données mobiles, le discours change légèrement passant de l’accès aux libertés à son utilisation dans le débat public. Depuis son accession au pouvoir, le gouvernement actuel a systématiquement fait preuve d’un mépris considérable à l’égard des voix de l’Internet. Les blogueurs et utilisateurs des médias sociaux ont fréquemment fait l’objet d’arrestations et ont dû comparer devant les tribunaux pour critique du gouvernement ou des politiciens. Toutes ces poursuites ont été rejetées par les tribunaux.
Par conséquent, quand le gouvernement fait des déclarations telles que celles faites par la CAK la semaine dernière, la menace d’une coupure totale ou partielle est on ne peut plus réelle. Une application de réseau privé virtuel pourrait contribuer à contrer une coupure des médias sociaux, mais la possibilité d’une coupure totale affecterait dans une large mesure la participation des Kenyans au processus électoral.