Par Appolinaire Nishirimbere

Du 5 au 6 septembre, 2019, les organisations de la société civile africaine à savoir le Réseau pour la Justice Fiscale Afrique ( RJFA), le Forum sur l’administration fiscale africaine (ATAF) et l’Observatoire tunisien de l’économie (OTE) ont réuni plus de 60 membres des parlements africains dans la capitale tunisienne Tunis pour un séminaire de renforcement de capacités sur la lutte contre les flux financiers illicites en provenance de l’Afrique au terme duquel ils ont promis une guerre sans merci à l’hémorragie financière en Afrique.

Cette formation visait à outiller les parlementaires pour mieux légiférer en faveur de la justice fiscale. Comme on pouvait le lire dans la note conceptuelle de ce forum, l’Afrique veut « attirer les investissements du secteur privé » alors que les incitations fiscales non contrôlées permettent l’évasion fiscale. Il y a donc sur le continent un « Consensus fiscal » qui a encouragé les pays à créer un “climat favorable” pour attirer les investissements privés en proposant un large éventail d’incitations, y compris des exonérations fiscales. Par conséquent, pour attirer les investissements étrangers,les pays se lancent dans une course à la baisse en matière d’impôt, car ils ont recours à des incitations fiscales préjudiciables ou ont signé des conventions de double imposition (CDI) douteuses limitant leurs droits d’imposition sur le revenu des sociétés.
L’Afrique a aussi les faibles systèmes fiscaux qui favorisent l’hémorragie des ressources naturelles que les législateurs sont appelés à renforcer. Ainsi reconnaissant que le secteur des ressources naturelles est l’un des foyers financiers du continent, la Vision Minière Africaine (VMA) a été adoptée par les chefs d’État et de Gouvernement de l’Union africaine (UA) en 2009. Toutefois, dix ans après son adoption, les régimes miniers dans de nombreux pays africains continuent de se caractériser par les mêmes défis pour lesquels la VMA a été mise en place pour les résoudre, notamment : les faiblesses de la collecte des impôts, la faible part des recettes publiques, les incitations fiscales de plus en plus croissantes, le manque de transparence et l’agressivité avec laquelle les sociétés multinationales créent des failles dans le système pour réduire leurs fardeaux fiscaux. Une étude du Réseau pour la Justice Fiscale Afrique ( RJFA) a, par exemple, révélé que cela est dû à la lenteur avec laquelle les principes de la VMA ont été assimilés aux niveaux national, régional et continental. Une autre limitation clé de la VMA était sa nature même de vision. C’est pourquoi un «plan d’action pour la mise en œuvre de la VMA» a été adopté en 2011. Il présente un cadre permettant de traduire la VMA des aspirations politiques en actions concrètes à mener à différents niveaux.

D’autres problèmes majeurs auxquels les pays africains font face et que les parlementaire sont appelés à s’atteler sont ,entre autres, la perte de revenus qui érode la capacité des gouvernements à financer le développement, l’exode des ressources en Afrique dont les principaux moteurs sont le commerce par les sociétés multinationales, crime organisé ,corruption, etc. Comme le montre le rapport du Groupe de haut niveau de la Commission de l’Union africaine et la Commission économique de l’ONU sur les FFI originaires d’Afrique publié en 2014, les flux financiers illicitescommerciaux sont les plus importants, suivis des flux criminels et de la corruption pure et simple. En outre, environ 50 milliards de dollars sont retirés chaque année à l’Afrique en raison de la mauvaise tarification des échanges : quelle hémorragie ! Il est important de noter que le Panel a révélé que l’Afrique est un créancier net du monde plutôt qu’un débiteur net, comme on l’imagine souvent. Le montant de l’Aide Publique au Développement(ADP) reçue par les pays africains est curieusement inférieur au montant des sorties de capitaux illicites, d’où la nécessité d’endiguer les FFI. Les juridictions du secret financier doivent être examinées de plus près. En outre, les activités et pratiques des paradis fiscaux et des juridictions opérant dans le secret financier sont considérées comme des questions transversales dans la lutte contre les flux financiers illicites et suscitent des inquiétudes quant au choix de certains pays africains de devenir des paradis fiscaux et des juridictions opérant dans le secret financier (et implicitement du blanchiment d’argent) en raison de: avantages perçus.

Cette formation de deux jours aura sensibilisé et renforcé les capacités des parlementaires africains. Ils étaient venus des parlements nationaux ainsi que du Forum parlementaire de la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC), de l’Assemblée législative de l’Afrique de l’Est (EALA), de l’Union interparlementaire de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), du Parlement de la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), du Parlement de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) et du Parlement panafricain (PAP).

Au terme de cette rencontre, en leur qualité de législateurs, ils ont pris des engagements clairs pour s’attaquer aux problèmes des flux financiers illicites en provenance de l’Afrique.
Ces engagement sont entre autres, l’identification des possibilités législatives existantes afin d’appuyer la mobilisation des ressources nationales et de réduire les FFI accentués; continuer à travailler en réseaux et par les pairs et mener une campagne collaborative anti-FFI en Afrique; légiférer sur des mesures de prévention, de détection, de dissuasion et de recouvrement des finances illicites ou améliorer celles qui existent déjà.
Notons que deux membres de l’Assemblée nationale du Burundi avait répondu présents à ce rendez-vous annuel. J’y étais moi-même en tant qu’expert en justice fiscale et facilitateur de la session sur la mobilisation des ressources internes pour financer le développement durable.