Le 18 avril 1980 a officiellement marqué la fin du régime colonial britannique dans l’ancienne Rhodésie et la création d’une nouvelle nation, le Zimbabwe.
Cette année, le Zimbabwe fête ses 41 ans dans un contexte de peur croissante des citoyens, de répression, d’atteintes aux droits de l’homme et de fermeture de l’espace démocratique. S’il convient de célébrer une telle journée, pour de nombreux Zimbabwéens, c’est un jour comme les autres, car il symbolise la trahison de la génération de la libération qui, de libératrice, s’est transformée en oppresseur.
Habituellement, des festivités organisées par le gouvernement (auxquelles participent principalement les partisans du ZANU-PF au pouvoir) sont organisées dans tout le pays. Lors de la cérémonie principale, ladite « flamme éternelle de l’indépendance » est allumée chaque année en guise de meilleurs vœux pour l’avenir de la nation. Cependant, pour la deuxième année consécutive, aucune cérémonie physique ne sera organisée en raison de l’épidémie de Covid-19.
Alors que nous faisons une rétrospective du chemin parcouru ces 41 dernières années, il est important d’établir des parallèles entre les caractéristiques de l’époque coloniale et la situation actuelle. Dans le dictionnaire, le mot « indépendance » est simplement défini comme « se libérer du contrôle ou de l’influence d’autrui ». Pour le Zimbabwe, il s’agissait de se libérer du joug britannique. L’indépendance est le fruit d’une longue lutte pour la libération visant à garantir l’existence d’une société juste et équitable, dans laquelle les droits humains fondamentaux sont respectés, une société caractérisée par l’égalité d’accès aux ressources économiques, c’est-à-dire à la terre, l’émancipation économique et la fin de la domination des minorités.
En substance, l’indépendance doit donc englober la jouissance de ces libertés et droits par les citoyens. Il est donc tragique que dans un Zimbabwe indépendant, les dirigeants aient continué à utiliser le système juridique colonial – un instrument sur lequel les fonctionnaires ont fondé leur conception d’un nouvel ordre social – pour réprimer les citoyens.
Regard sur le passé
Les années de colonialisme ont été marquées par des violences exercées avec l’assentiment de l’État, la discrimination raciale et le règne de la force. Les Noirs, qui constituent la majeure partie de la population, étaient désignés comme des sujets et non des citoyens, et n’étaient autorisés à exercer qu’un nombre limité de droits. La loi était utilisée comme un instrument de coercition pour consolider le contrôle britannique et s’est avéré être un moyen de contrôle administratif colonial plus efficace.
Pendant un certain temps, la force pouvait affaiblir la volonté des peuples conquis, mais ne pouvait pas faire perdurer le régime colonial. Selon Bonny Ibhawoh (2008), le processus de consolidation et de stabilisation du régime colonial était fondé sur la loi – et plus particulièrement sur le système juridique anglais. La loi, sous la forme d’ordonnances et de proclamations administrées par des tribunaux coloniaux de style britannique, est devenue la cause de la promotion de l’hégémonie britannique. En effet, « entre les mains de l’administration coloniale britannique, la loi était un véritable outil, plus puissant à bien des égards que la mitrailleuse Maxim ».
Aujourd’hui : Qu’est-ce qui a changé ?
Plus de quatre décennies plus tard, le Zimbabwe est le théâtre d’une répression croissante, de violations des droits humains et de la fermeture de l’espace démocratique. Le coup d’État militaire de 2017 a aggravé la situation. Il en va de même pour la pandémie de Covid-19, qui a servi de prétexte pour interdire l’activité politique et suspendre les élections, alors même que les membres de l’opposition au Parlement et les conseillers municipaux continuent d’être « rappelés »/démis de leurs fonctions sans procédure régulière.
Selon un rapport que vient de publier le Réseau des défenseurs des droits humains d’Afrique australe (Southern Africa Human Rights Defenders Network) (avril 2021) intitulé Zimbabwe Human Rights Defenders Assets and Needs Assessment (Évaluation des ressources et des besoins des défenseurs des droits humains au Zimbabwe), le « nouveau » gouvernement, dirigé par des « militaires », a de plus en plus eu recours à l’armée pour assurer le maintien de l’ordre – en particulier lors des manifestations – sans hésiter à tirer sur des civils non armés et à les tuer.
Nous observons également une tendance croissante à l’utilisation systématique de la loi, comme à l’époque coloniale, pour réprimer les citoyens et les Défenseurs des droits humains. Le nouveau rapport montre comment le cadre juridique du pays est une fois de plus truffé de lois répressives. Par exemple :
- la loi sur le maintien de la paix et de l’ordre (Maintenance of Peace and Order Act) de 2020, qui a remplacé la loi sur l’ordre public et la sécurité (POSA, Public Order and Security Act), tout aussi répressive,
- la loi sur le droit pénal (Criminal Law Act) (codification et réforme) (le Code)
- la loi sur la liberté d’information (Freedom of information Act) de 2020, qui a abrogé la loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (AIPPA, Access to Information Protection of Privacy Act), même si certains de ses éléments doivent encore être remplacés.
En substance, ces lois reflètent le maintien des héritages coloniaux de la prédominance du pouvoir exécutif. L’utilisation d’instruments statutaires, qui sont de nature et de contenu exécutifs, et la publication de projets de loi répressifs tels que le projet de loi sur la cybersécurité (Cyber Security Bill) et le projet de loi patriotique (Patriotic Bill) créent un cadre répressif que l’État utilise pour restreindre les droits des citoyens.
La proposition de loi patriotique vise deux objectifs, à savoir :
« a) reconnaître et célébrer les efforts déployés par les citoyens zimbabwéens, dans leur pays et à l’étranger, pour promouvoir l’image et la marque positives du pays ;
- b) interdire à tout citoyen zimbabwéen de communiquer délibérément des messages destinés à nuire à l’image et à la réputation du pays sur des plateformes internationales ou de collaborer avec des pays étrangers pour communiquer des messages destinés à nuire à la bonne image du pays et/ou à porter atteinte à son intégrité et à sa réputation ».
L’ancien ministre Professeur Jonathan Moyo affirme que le projet de loi patriotique est réactionnaire à l’extrême et cherche à pénaliser l’esprit et la pratique mêmes de la solidarité, sans lesquels le Zimbabwe ne serait pas un pays indépendant aujourd’hui. Il affirme que la solidarité avait joué un rôle essentiel dans la lutte contre des fléaux tels que l’UDI en Rhodésie et l’apartheid en Afrique du Sud.
Le Zimbabwe est doté d’une constitution moderne, d’une déclaration des droits humains très complète et d’institutions indépendantes chargées de protéger et de consolider la démocratie et les droits humains. Cette constitution délègue également le pouvoir gouvernemental et limite le nombre de mandats présidentiels. Elle a été adoptée après un référendum historique enregistrant plus de 94,5 % de votes. Malheureusement, le gouvernement cherche aujourd’hui à modifier la Constitution pour donner plus de pouvoirs au président et centraliser le pouvoir.
Ce qui aura pour effet d’éroder et de revenir sur les acquis démocratiques obtenus lors du référendum historique du 16 mars 2013. Un coup d’œil rapide permet de voir que l’État n’est pas non plus disposé à respecter la Constitution, puisqu’il a en permanence recours à des instruments statutaires publiés unilatéralement au journal officiel pour contourner le rôle législatif et le contrôle du Parlement. Rien qu’en 2020, près de 270 instruments statutaires ont été publiés au journal officiel. Plusieurs lois répressives doivent encore être alignées sur la nouvelle constitution ou mises en œuvre.
Utiliser l’épidémie de Covid-19 pour attaquer les droits de l’homme
En juillet 2020, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) a fait part de ses préoccupations concernant les allégations selon lesquelles les autorités zimbabwéennes auraient utilisé la crise de la Covid-19 comme prétexte pour réprimer la liberté d’expression et de réunion pacifique dans les rues. Liz Throssell, porte-parole du HCDH, a déclaré que les gens avaient le droit de protester contre la corruption ou quelle qu’en soit la raison.
Pourtant, le président Emmerson Mnangagwa et les porte-parole de son parti, la ZANU PF, ont continué à proférer des menaces destinées à susciter la peur. Le gouvernement continue d’avoir recours à des fermetures arbitraires sous prétexte de lutte contre le Covid-19 afin d’empêcher la libre circulation, la liberté d’association et d’expression et suspendre l’activité électorale et les élections partielles attendues depuis déjà plusieurs mois dans 26 circonscriptions parlementaires et environ 80 circonscriptions locales.
À ce jour, plusieurs militants, dont des journalistes, ont subi l’oppression de l’État. Le 8 janvier 2021, l’éminent journaliste indépendant Hopewell Chin’ono a été arrêté pour la troisième fois en six mois sous l’accusation fallacieuse de la police de la République du Zimbabwe (ZRP) d’avoir publié ou communiqué de fausses déclarations préjudiciables à l’État, conformément à la section 31(a)(iii) de la loi sur le droit pénal (codification et réforme).
Cette arrestation est le reflet du musellement de la liberté d’expression, des droits numériques ou de l’internet et du harcèlement continu des membres des médias par l’État.
La même semaine, Job Sikhala, vice-président du MDC, le parti de l’opposition, et Fadzayi Mahere, porte-parole du parti, ont été arrêtés sur la base d’allégations similaires. L’État est également passé à la vitesse supérieure en matière de persécution des leaders des groupements étudiants et de nombreuses arrestations ont été enregistrées au cours des derniers mois.
Le 26 février 2021, Takudzwa Ngadziore, dirigeant de l’Union nationale des étudiants du Zimbabwe (ZINASU), et Tapiwanashe Chiriga, secrétaire général de la ZINASU, ont été arrêtés pour avoir organisé une conférence de presse en solidarité avec Makomborero Haruzivishe, militant de l’opposition incarcéré.
Le 1er mars 2021, la police a arrêté trois étudiants, Richard Paradzayi, Paidamoyo Masaraure et Lean Kanengoni, accusés de s’être déplacés sans motif impérieux après s’être rendus au tribunal pour témoigner de leur solidarité avec Haruzivishe.
Le 5 mars 2021, Joana Mamombe et Cecilia Chimbiri, militantes du MDC, le parti de l’opposition, ont été arrêtées au tribunal de première instance où elles s’étaient également rendues en solidarité avec Haruzivishe, et à ce jour, elles croupissent en détention provisoire. Mamombe et Chimbiri sont victimes de tortures et de violences sexuelles aux mains d’agents de la sécurité de l’État. Cela renforce encore l’allégation selon laquelle l’État continue d’asseoir un régime autoritaire par la persécution au moyen de poursuites judiciaires.
Au mois d’août de l’année dernière, la campagne #ZimbabweanLivesMatter sur Twitter a attiré l’attention de célébrités et de politiciens internationaux sur les violations des droits humains dans le pays.
Inégalités sociales et économiques
L’approche malavisée du gouvernement en matière de relance économique et de recours aux « mesures d’austérité » a conduit à la détérioration des services sociaux au Zimbabwe, les citoyens devant faire les frais de coupures de courant limitées, de grèves paralysantes dans les secteurs de l’éducation et de la santé, de pénuries de médicaments, d’un approvisionnement en eau irrégulier et d’un coût de la vie en constante augmentation, les familles luttant pour répondre aux exigences financières et matérielles liées à l’achat de produits de base. Le gouvernement continue de rencontrer des difficultés pour répondre aux exigences salariales de la fonction publique.
En conséquence, les droits sociaux sont en recul et, en l’absence de réformes radicales de l’économie et de l’architecture politique, les inégalités sociales continueront de se creuser dans un avenir proche. Les confinements limitent sévèrement la liberté de mouvement, ferment toutes les entreprises et les écoles à l’exception de celles qui sont considérées comme essentielles, interdisent la vente d’alcool et de tabac et instaurent un couvre-feu nocturne.
Il est inquiétant de constater que l’approche fraternelle dans la région de la SADC a aggravé la situation de la démocratie et des droits humains, les dirigeants ne se tenant pas mutuellement pour responsables de leurs actes et aucun ne rappelle l’autre à l’ordre. La société civile a demandé à la SADC d’appeler le gouvernement zimbabwéen à mettre fin aux violations des droits humains, mais le bloc régional est resté muet.
Au moment où le Zimbabwe commémore ses 41 ans d’indépendance, le constitutionnalisme doit être restauré. Au niveau régional, il est nécessaire que les groupes de défense des droits passent en revue, lancent et renforcent les processus pragmatiques qui permettent de relier la solidarité entre les personnes aux luttes en cours contre les injustices environnementales, sociales et économiques et aux interventions contre les injustices politiques.
La destitution de Robert Mugabe, dictateur de longue date, avait donné à la population l’espoir que le Zimbabwe retrouverait la voie de la démocratie et du respect des droits humains, ce qui encouragerait des millions de Zimbabwéens contraints à l’exil à rentrer chez eux. Une opportunité cependant gâchée, car le président Mnangagwa s’est révélé être un dirigeant autoritaire encore plus effronté, qui, au cours de sa première année au pouvoir, a utilisé l’armée pour tirer sur des civils non armés et en tuer certains dans le centre-ville d’Harare et dans les grandes villes du pays, sur le simple motif qu’ils avaient protesté contre la mauvaise gestion de l’économie et la corruption permanente.
La SADC, dans un effort pour promouvoir les principes démocratiques dans la région, doit condamner les infractions à l’encontre des droits des personnes au Zimbabwe, notamment en tenant pour sacro-saints les droits des citoyens à la vie et à la protection par l’État, ainsi qu’en décourageant les atteintes aux droits des médias et des gens du commun.
Article paru pour la première fois dans le Daily Maverick.