L’utilisation systématique de la force, les arrestations et les détentions arbitraires qui se produisent actuellement dans nos universités et aux alentours ont mis l’accent sur la sécurisation et la militarisation. Mais ni l’un ni l’autre phénomène n’est nouveau. Depuis quelque temps déjà L’Afrique du Sud a introduit progressivement la sécurisation et la militarisation de différentes manières.
Par exemple, de plus en plus les employeurs qui cherchent à se protéger contre les travailleurs en grève ont recours à la sécurité privée.
En plus, cette sécurité est visible dans les quartiers résidentiels, dans les banlieues et les centres commerciaux des grandes villes. Comme c’est le cas avec nos universités, assez souvent la sécurité est invoquée pour justifier la sécurisation, et à cause des niveaux élevés de criminalité, très souvent ceci est accepté sans critique. Mais nous savons en plus que la sécurisation de ces espaces a pour résultat le harcèlement des noirs, et quelques fois ils sont déplacés ailleurs. Cette situation donne lieu au profilage de race et de classe, selon lequel les gens qui n’ont pas ‘l’aspect’ pour faire partie d’un endroit spécifique sont considérés comme des gens douteux qu’il faut chasser.
Ensuite, il y a la militarisation toujours croissante de notre société. Il est facile de rejeter l’idée que l’Afrique du Sud est entrain de se militariser, parce qu’il n’y a pas de soldats dans les rues. Mais il faut comprendre que la militarisation ne signifie pas seulement les soldats et le conflit militaire, mais essentiellement qu’elle se rapporte à l’Etat, et à la société même qui se prépare pour la violence, on se rend compte que cette perception de la militarisation n’est pas trop irréaliste.
Nous pouvons donner l’exemple de la protestation pour un salaire minimum à Marikana; où ‘l’état d’urgence’ a été décrété de facto suite au massacre en 2012 ou encore l’exemple de l’occupation par l’Équipe d’intervention tactique de Wesselton à Ermelo suite à une protestation.
Plus récemment, on a créé un groupe de travail pour « normaliser » la situation des institutions d’enseignement supérieur, où on note une forte présence d’un groupe de sécurité. Ce groupe de travail a été élargi au Ministre des Finances entre autres, cela démontre que les autorités se préparent contre les actes de violence. Alors qu’elles devraient essayer de comprendre les causes intrinsèques qui poussent les gens à exprimer leur mécontentement.
Il s’agit de l’exigence de garder ce que moi je nommerai un ordre symbolique, un sens d’ordre qui n’a rien à voir avec l’engagement et la résolution de problèmes, mais qui est créé aux fins de contrôle.
Ceci m’a fait penser à ma visite récente à Kigali au Rwanda. Je n’étais pas là assez longtemps pour bien connaître la ville ni de la parcourir dans sa totalité, et probablement j’habitais dans un quartier chic. C’est une belle ville, très propre et avec un cadre de verdure exceptionnel. Tandis que pour la plupart, l’architecture des nouveaux bâtiments ne m’a pas touché, c’était un peu trop moderniste pour moi, il était évident que, tout récemment, il y a eu des investissements considérables pour le développement et le maintien des infrastructures.
J’ai eu mon premier déboire avec les autorités à l’aéroport car portant un t-shirt qui exprimait un fort message sur la révolte. Je pouvais voir leur visage sous le choc.
Kigali est le premier endroit au monde où l’on me dit que je pourrais aller n’importe où et à n’importe quelle heure et que je ne risquerais rien. Les autres endroits que j’ai visité, alors qu’ils sont sûrs, il y a toujours un sentiment de peur qui nous fais« garder les yeux ouverts », ce qui n’était pas évident à Kigali. Mais personne n’avait mentionné le fait que, à 18h00 le soir, les soldats armés de fusils automatiques sont déployés dans les rues. J’étais surprise d’observer ces hommes armés partout, et j’avais demandé à quelques gens si le pays était en guerre. Je ne pouvais pas comprendre comment un endroit ‘en paix’ pouvait avoir l’aspect de Kigali.
Parler de politique a rendu les gens silencieux et inconfortables, presque comme s’il n’était pas ‘permis’ de discuter de certaines choses. La plupart des gens m’ont ignoré, ils ont changé le sujet, ils sont partis ou bien ils m’avaient conseillé de ne pas en parler. Quelques-uns ont fait référence à la « sécurité », de façon qui me semblait bien pratique. « Vous ne savez pas ce qui se passe autour du monde », m’avait demandé un homme, en ajoutant que « ceux la (les forces armées) leur rôle est de faire en sorte que ça n’arrive jamais dans notre pays ». Je lui ai demandé si cela lui donne véritablement un sentiment de sécurité, et s’il ne s’inquiétait jamais de la possibilité que ces gens armés qui portaient des grands fusils pourraient être eux-mêmes ceux qui pourraient tourner les armes sur le peuple. Je n’ai jamais reçu de réponse.
Je n’ai jamais vu un endroit aussi militarisé et sécurisé, et c’était un rappel puissant des raisons pour lesquelles ce n’est pas quelque chose que moi je voudrais voir comme normale, basée sur le règne de la peur, de la terreur et de l’oppression.
Du point de vue historique et contemporain, nous avons vu que la sécurisation et la militarisation créent des sociétés au sein desquelles la violence est légitimée. Actuellement, c’est pour cette raison que les administrations de l’université, les entreprises, les responsables gouvernementaux et les groupes privilégiés ont la possibilité de déployer les forces de sécurité et la police au nom de la ‘sécurité’, de façon à ne pas tenir compte du fait que leur simple présence , entraîne beaucoup de violence.
Cette normalisation est une grande menace pour nous tous, parce que le résultat inhérent de la sécurisation et la militarisation, est de traiter les gens comme« l’Autre », et dans une société aussi fragmentée que la nôtre , cela ne fait que renforcer les vieux sentiments de « l’Autre », et pourrait créer de nouvelles manifestations– dont tous conduisent à la répression, l’injustice sous des formes différentes, et les violations de la sécurité des gens, ce qui consiste fondamentalement au contrôle et à la domination. Il y a le sentiment que toutes ces choses sont profondément ancrées dans le tissu de Kigali.
Sans doute, l’Afrique du Sud a une longue histoire de contestation violente, une conséquence des années post-94. Mais c’est une problématique qu’il faut aborder de façon urgente, avant que « les rêves de la population pour la liberté et une meilleure vie ne deviennent des cauchemars de la déshumanisation », ce que nous voyons déjà. Nous ferions bien de regarder le Rwanda afin de savoir pourquoi il vaudrait mieux ne pas suivre ce chemin, parce que c’est un moyen sûr de permettre à quelques-uns d’accumuler un pouvoir dangereux.