La récente promotion par le président Uhuru Kenyatta de Fred Matiang’i au poste de « chef » des Secrétaires du cabinet a largement été considérée comme un affront visant son vice-président, William Ruto. Bien que cela puisse être en partie vrai, il semblerait que le pays perde encore une fois sa vue d’ensemble. Cette nomination est également un affront à l’encontre de la Constitution elle-même, dans le cadre d’une attaque incessante que le président et son parti mènent contre la Constitution depuis leur campagne pour les élections présidentielles en 2013.

Pour comprendre cela, nous devons repenser à la déportation illégale de Miguna Miguna, le « Général » auto-déclaré du Mouvement national de résistance. Beaucoup se souviendront de cette déportation, qui s’est produite à la suite du simulacre de prestation de serment de Raila Odinga à la fin du mois de janvier et des affrontements entre l’Exécutif et le Judiciaire, quand Miguna a désobéi à plusieurs décisions de justice lui enjoignant de se présenter devant le tribunal et de remettre son passeport kenyan.

En décembre, la Haute Cour s’est prononcée sur le recours constitutionnel de Miguna à l’encontre de l’action du gouvernement, et était en tout point d’accord avec lui. En fait, Justice Chacha Mwita a constaté que Matiang’i, ainsi que l’inspecteur général de la police, Joseph Boinnet, et le Secrétaire permanent chargé de l’immigration, Gordon Kihalangwa, avaient enfreint l’État de droit et la Constitution et que leur conduite constituait un abus de pouvoir. La Constitution stipule qu’une telle conduite est un motif de destitution et non de promotion.

C’est le contexte dans lequel nous devrions comprendre les actions du président Kenyatta. Au fond, il a tendu un doigt d’honneur à la Constitution, et en récompensant un individu qui l’avait durement enfreinte, au lieu de le destituer, il a affiché son mépris pour cette Constitution et les institutions et normes qu’elle établit.

Il avait déjà affiché ce même mépris avant même de devenir président. C’est sa candidature, avec Ruto, pour la plus haute fonction alors qu’il était accusé de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale qui a enlevé tout sens aux dispositions de la Constitution sur le leadership et l’intégrité. Aujourd’hui, il semble totalement inconscient de l’ironie de ses propos quand il affirme qu’aucun individu accusé de corruption ou impliqué dans des affaires de corruption ne bénéficiera d’une nomination au sein de l’État tant que les accusations n’auront pas été levées, et ce afin de lutter contre la corruption.

Mais le président n’est pas le seul fautif. La Constitution confère au parlement le devoir de superviser les Secrétaires du cabinet, et les députés sont en droit d’entamer une procédure de destitution des individus reconnus coupables de faute grave. Pourtant, à ce jour, aucune tentative d’enquêter sur la conduite de Matiang’i ou même d’appeler à sa démission ou destitution n’a été entreprise. Et aucun des députés ne s’est exprimé pour protester contre sa promotion, sauf dans la mesure où cela concernait le sort de Ruto.

Les médias ne se sont pas non plus montrés particulièrement enclins à secouer le monde politique, préférant plutôt laisser les politiques tenir le gouvernail. Comme toujours, la presse se délecte du drame de nos combats politiques entre personnes (et en particulier du sort des ambitions de Ruto de succéder à Kenyatta) et ne voit pas la substance des questions que ces compétitions éludent. Bien au contraire, les médias n’ont été que trop contents d’aduler Matiang’i et de le présenter comme le sauveur de wananchi, et non comme le dangereux hors la loi qu’il est.

Et ce n’est pas la première fois que cela nous arrive. En 2014, c’était feu John “The Crusher” Michuki qui faisait fureur, les médias ne questionnant encore une fois que très peu ses méthodes et motivations. Ils en ont payé le prix cher quand il autorisa en 2016 le raid des locaux de Standard et ordonna une censure de l’information suite aux violences liées aux élections de 2007.

Enfin, trahis par leurs représentants et singulièrement tenus non informés par la presse, les Kenyans n’ont également pas pu ou pas voulu reconnaître la menace que pose le fait d’autoriser plusieurs branches du gouvernement à détourner la Constitution. Après plus d’un siècle de répression gouvernementale, avant comme après l’indépendance, les dispositions et devoirs de la Constitution de 2010 visaient essentiellement à réussir une chose que la précédente avait échoué à faire : discipliner le Léviathan. Cet échec a inauguré un demi-siècle de régimes brutaux, meurtriers et kleptocrates.

Pourtant près d’une décennie après que les Kenyans aient majoritairement voté pour l’adopter, la Constitution est confrontée au même sort : amendée ou simplement ignorée au point de lui faire perdre toute pertinence. Et comme personne ne la défend, c’est un combat que la Constitution ne peut remporter.