Plus de deux ans après son début, la crise anglophone continue à faire rage dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest du Cameroun. Pire, la crise s’est transformée en conflit armé qui a déjà fait de nombreuses victimes que ce soit dans le camp des sécessionistes, dans celui de l’armée ou même chez les civils parmi lesquels en plus des morts, on dénombre des milliers de réfugiés et des centaines de milliers de déplacés internes. Plusieurs initiatives ont été prises par le gouvernement pour régler le problème se sont soldées par des échecs, et la dernière en date semble vouée au même sort.

L’échec de la Commission pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme

Dans un décret signé le 30 novembre dernier, le président de la république du Cameroun, Paul Biya, a annoncé la création du Comité national de désarmement, de démobilisation et de réintégration dont la mission est « d’organiser, d’encadrer et de gérer le désarmement, la démobilisation et la réinsertion socio-professionnelle des ex-combattants du Boko Haram et des groupes armés des régions du Nord-ouest et du Sud-ouest désireux de répondre favorablement à l’offre de paix du chef de l’État en déposant les armes ».

Avant ce comité, une commission dite pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme avait déjà vu le jour en janvier 2017, toujours dans le cadre de la résolution de la crise anglophone. Dans ses missions, la commission avait entre autres la charge de la mise sur pied de stratégies pour favoriser la vivre ensemble notamment en vulgarisant les textes sur le bilinguisme, en menant des études et investigations sur le terrain permettant d’établir des rapports qui seraient envoyés au président de la république. La commission avait également pour rôle « d’élaborer et de soumettre au Président de la république des projets de textes sur le bilinguisme, le multiculturalisme et le vivre ensemble ».

Quel est le bilan de cette première commission dont le rôle, s’il avait été mené à bien, aurait peut-être évité qu’on se retrouve dans le conflit armé comme c’est le cas ? Difficile à dire, vu qu’elle rend compte directement au président de la république. Mais ce qui est sûr, c’est qu’aucune loi renforçant l’égalité des deux langues officielles n’a été promulguée depuis la mise sur pied de la commission. Et à vrai dire, on l’a très peu vue sur le terrain.

Désarmer en pleine guerre : la charrue avant les bœufs

Alors que la mission de la commission qui était chargée de désamorcer la bombe – dont l’explosion a conduit à la prise des armes avec les conséquences qu’on sait – s’est soldée par ce qu’on peut considérer comme un échec retentissant, le président de la république a jugé bon de passer à l’étape suivante en créant le comité de désarmement et de réintégration des ex-combattants. Mais, peut-on parler d’ex-combattants alors même que les combats s’intensifient ? C’est tout le paradoxe de la mise sur pied de ce comité.

Comment désarmer, démobiliser et réinsérer des combattants sans qu’il n’y ait eu préalablement ni arrêt des combats, ni entente entre les deux parties, ni dialogue sous quelque forme que ce soit ?

Le préalable pour un quelconque désarmement, c’est la fin du conflit, ou du moins un cesser le feu. Et pour cela, il est indispensable qu’un accord soit trouvé entre les deux parties impliquées. L’arrêt d’un conflit ne se décrète pas. Il se négocie. Malheureusement, l’option de la négociation semble avoir été écartée depuis longtemps par le pouvoir. Mais il sera difficile, dans ce contexte, de désarmer des personnes qui n’ont pas accepter de jeter les armes.

La réponse des sécessionistes à la « main tendue » du président

Pour montrer sa volonté de ramener la paix et de rafistoler l’unité nationale qui se déchire de plus en plus depuis deux ans au moins, le président de la république, après avoir créé le comité national de désarmement, a ordonné l’arrêt des poursuites et la libération de 289 personnes arrêtées dans le cadre de la crise anglophone. La réponse du porte-parole des Ambazonia Defence Forces (ADF) ne s’est pas fait attendre : le groupe armé considère ce geste du chef de l’État comme de la provocation et promet que les combats vont s’intensifier. En effet, parmi les prisonniers libérés ne figure aucun des leaders du mouvement. En plus, le nombre de personnes libérées est insignifiant comparé au nombre de personnes arrêtées.

De même que la libération des 289 prisonniers, la création du comité national de désarmement, de démobilisation et de réintégration n’a pas obtenu écho favorable dans le camp des sécessionistes. Environ une semaine après sa nomination au poste de chef de centre de désarmement, démobilisation et réinsertion pour le Nord-ouest, le domicile de Gabsa Nyagha Sixtus a été incendié par des individus non identifiés, vraisemblablement pour envoyer un message clair à ce dernier.

Les sécessionistes ne sont visiblement pas prêts à déposer les armes, et même la libération de quelques prisonniers arrêtés dans le cadre de la crise anglophone n’a pas suffi à leur faire changer d’avis. Cette réaction était prévisible : le désarmement et la libération des prisonniers ne sont pas vraiment des solutions à cette crise.

Des solutions superficielles à un problème profond

Depuis le début de la crise anglophone, et même avant qu’elle ne se transforme en conflit armé, le gouvernement a très peu donné l’impression de vouloir régler le problème de façon à satisfaire les deux camps. C’est vrai qu’il y a eu des mesures prises par l’ancien ministre des enseignements secondaires pour redéployer les enseignants francophones affectés dans les établissements du sous-système anglophone, mais les mauvaises habitudes ont rapidement repris le dessus. Cette mesure temporairement appliquée mise à part, le reste des actions n’a été que superficiel et s’est limité à la mise sur pied de commissions et à l’envoi de plus de soldats sur le terrain.

La vérité c’est que le Comité national de désarmement, de démobilisation et de réinsertion ne peut pas résoudre la crise anglophone. Même la libération de toutes les personnes arrêtées dans le cadre de cette crise ne sera pas la solution. Cela permettra au mieux de calmer la situation et d’ouvrir enfin la voie au dialogue. Ce n’est que ce dialogue là qui pourra enfin régler le problème.

Risque de légitimation des massacres

Telle que la situation se présente, il est clair qu’il n’y aura pas dépôt d’armes dans le camp des sécessionistes. Dans ce cas, il y a fort à craindre que les massacres continuent dans les régions anglophones avec cette fois-ci le prétexte que la proposition de paix faite par le président de la république a été rejetée par les « rebelles ».

Rappelons-nous que le désarmement, la démobilisation et la réintégration concernent les ex-combattants « désireux de répondre favorablement à l’offre de paix du chef de l’État ». Quel sort réserve-t-on à ceux qui refuseront ? D’ailleurs, pourquoi les soldats de l’armée régulière ne sont-ils pas également concernés par le désarmement et la démobilisation ?

Alors que la situation s’enlise, que le gouvernement abat l’une après l’autre ses cartes sans succès et que le nombre de victimes augmente au fil des jours, il est urgent pour les deux camps de trouver un terrain d’entente pour qu’une voie de sortie soit trouvée pour ce conflit qui a déjà trop duré.