La mobilisation suite au décès de George Floyd le 25 mai dernier dans le Minnesota aux Etats-Unis a une fois de plus prouvé la capacité des peuples à travers les continents à être solidaires, à s’unir pour une seule et même cause. Cette fois-ci, la cause est double : le racisme et la violence policière.

Les réseaux sociaux ont montré une fois encore leur capacité à fédérer. Le 2 juin dernier, jour du #BlackOutTuesday, nos fils d’actualité sur Facebook, Twitter ou encore Instagram ont été saturés par ces carrés noirs marquant tant le besoin de ne pas s’exprimer sur tout ce qui ne touchait pas à la cause que la volonté de la faire entendre aussi fort et aussi loin que possible.

La chaîne de solidarité a été et continue d’être informée à la minute près des activités organisées autour de la mobilisation et des ripostes tant raciales que policières déployées pour les contrer. Les peuples dénoncent l’existence d’une citoyenneté de seconde classe, d’un racisme aussi perceptible que visible, d’une brutalité non méritée. Ils revendiquent le respect de l’humain dans sa diversité et de ses droits. Engagés ou non, les médias sont des piliers du combat.

L’Afrique est elle aussi au cœur de l’action. Bien que loin des rues de Washington, de Londres et de Paris, elle se fait autant entendre que les personnes qui battent le pavé depuis des jours. Elle relaie, s’insurge, soutient. Nageant à contre-courant, un petit groupe dont les voix ne font pas vraiment écho appelle lui aussi à une mobilisation, mais à une mobilisation différente : les Africains devraient s’intéresser à la poutre dans leurs yeux avant de se préoccuper de celle dans l’œil des voisins.

Est-ce insultant ? Non. L’idée n’est pas de demander aux Africains aussi insurgés que les compatriotes de Georges Floyd de se désolidariser parce que le racisme est inconnu chez eux. L’idée n’est pas de leur demander de cultiver l’égoïsme, de ne pas se préoccuper de ce qui se passe loin de leurs terres. Au contraire, ils devraient s’inspirer de ce qu’ils apprécient ailleurs pour le répliquer chez eux.

Si le racisme ne fait pas forcément partie du quotidien de l’Afrique en général et de l’Afrique subsaharienne en particulier, les actions des forces de l’ordre conduisant souvent au décès de citoyens sont plus ou moins courantes et ne sont quasiment jamais punies. Ces voix ne faisant pas écho mentionnées précédemment partagent ces réalités et récoltent quelques like et quelques partages. Sans plus.

Le 23 avril 2018, un véhicule du commissariat de police de la Médina à Dakar a percuté un scooter, et le jeune Abdoulaye Timera a succombé à ses blessures suite à ce choc. Justice n’a jamais été faite. La twittosphère sénégalaise a elle aussi réclamé justice pour George Floyd, mais semble avoir oublié Abdoulaye Timera, une victime parmi tant d’autres. Un tweet de Yacine Sidibe rappelle Abdoulaye à notre mémoire :

Il y a-t-il une manif aujourd’hui pour Abdoulaye Timera également ? Ou peut on demander à ceux qui organisent la manif au monument de rajouter les noms de ceux qui nous ont quitté à cause des violences policières ici ?

Toujours au Sénégal, Pape Sarr est enfermé en 2018 dans les locaux d’un commissariat à Thiaroye. Il y est torturé puis aspergé d’un liquide inflammable. Il décède suite à ses blessures, brûlé à 70°. Elimane Touré est mort dans les locaux du commissariat du Port. 3 ans après, sa famille continue de réclamer justice.

La situation n’est pas moins désagréable au Kenya. On peut lire l’extrait suivant dans un article sur le site de Human Rights Watch daté du 22 avril 2020.

Au moins six personnes sont décédées à la suite de violences policières au Kenya lors des 10 premiers jours du couvre-feu nocturne imposé le 27 mars pour contenir la propagation de Covid-19, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Des policiers, sans justification apparente, ont tiré sur des personnes et ont frappé des habitants qui se trouvaient sur des marchés ou qui rentraient du travail, même avant le début du couvre-feu nocturne. Des policiers ont aussi fait irruption dans des domiciles et dans des magasins dans plusieurs villes, extorquant de l’argent ou pillant de la nourriture. Le 30 mars, à la suite de critiques émises par diverses organisations dont Human Rights Watch, notamment sur de tels incidents survenus à Mombasa, le président Uhuru Kenyatta a présenté des excuses d’une manière générale sur le recours à la force par la police. Il n’a toutefois pas expressément ordonné à la police de mettre fin à ces abus.

Le Cameroun n’est pas en reste. Des centaines de disparitions et de décès sont enregistrés dans le cadre de la lutte policière/militaire contre la criminalité ou le terrorisme.  Plus de cinq années après les faits, Amnesty International reste quasiment la seule entité à se battre pour que justice soit faite suite à la disparition de 130 hommes et garçons originaires de Magdémé et Doublé, dans l’Extrême-Nord du pays.  Au cours de ce raid violent, huit personnes ont été tuées et plus de 70 bâtiments ont été réduits en cendres.

Ces faits ne sont pas uniques au Sénégal, au Kenya ou au Cameroun. Chaque pays d’Afrique en général et d’Afrique subsaharienne en particulier compte son lot de disparus et de morts suite à une interaction avec les forces de l’ordre. Un autre dénominateur commun est l’absence de justice dans ces cas.

Le silence des citoyens est à condamner. Leur intérêt bien plus grand pour les causes « d’ailleurs » l’est tout autant. Bien que ces faits soient clairs, ils ne sont que la conséquence d’une lacune commune à nos pays : l’absence de médias nationaux forts à portée internationale.

Nous consommons majoritairement des médias autres qu’africains. Malgré son éthique très souvent discutée, Jeune Afrique est l’un des seuls médias africains couvrant des questions d’ordre politiques sur le continent lus à travers l’Afrique francophone. N’étant pas un média national, il ne peut se focaliser pendant longtemps sur une situation dans un pays donné. L’Afrique francophone s’informe majoritairement à travers RFI et BBC qui, tout comme Jeune Afrique brosse plus ou moins rapidement les questions nationales en Afrique.

Nos médias n’ont pas toujours vocation à informer. Ils sont soit proches du pouvoir, soit contre le pouvoir. C’est par exemple le cas de Cameroon Tribune (proche du pouvoir) et de Mutations (contre le pouvoir) au Cameroun. Les agendas n’incluent pas forcément les citoyens, et ces médias ne se soucient pas de leur capacité à fédérer autour de causes nationales, encore moins de faire entendre ces causes à l’échelle internationale. Les plus grandes retombées sont une crise de confiance envers les médias nationaux, une faible présence dans les cercles jeunes et actifs, un désintérêt pour les questions nationales et un attachement pour des médias qui ont une présence plus forte.

Nous avons besoin de médias indépendants tant du pouvoir que de ses adversaires, de médias à forte présence nationale, de médias diffusant des informations à travers des canaux ne souffrant d’aucune frontière (notamment les réseaux sociaux), de médias fédérateurs capables de porter une cause et d’attiser la flamme des alliés à cette cause. C’est l’une des voies à emprunter pour que la masse se mobilise et que justice soit faite pour tous nos George Floyd nationaux.