Kinshasa et quelques provinces de la RDC ont vécu une semaine très agitée avec des marches de colère des citoyens contre le projet de réforme de la justice. Il s’agit d’un projet de loi initié et soumis à l’Assemblée nationale par Aubin Minaku et Garry Sakata, deux députés proches de l’ancien président Joseph Kabila. Problème : la réforme proposée est considérée par la rue comme une atteinte à l’indépendance de la justice. Ce qui a donné lieu à de nombreuses marches de protestation à travers la RDC.

Depuis lundi 22 juin, les rues de Kinshasa étaient assiégées par des manifestants. Ils convergeaient vers le Palais du peuple – siège du Parlement – pour empêcher l’examen du projet de réforme de la justice soumis par les députés Aubin Minaku et Garry Sakata. Dispersés par la police, les manifestants ont brûlé des pneus et perpétré des actes de vandalisme contre les résidences et les propriétés des membres du Front commun pour le Congo, un regroupement politique de l’ex-président Joseph Kabila dont sont issus les auteurs du projet. La résidence du député Aubin Minaku a été attaquée.

Marche de protestation également au centre du pays, notamment à Mbujimayi au Kasaï-Oriental, fief du président Félix Tshisekedi. Ici, la police a interpelé plusieurs manifestants après la destruction méchante des biens des proches de l’ancien gouverneur de cette province. À Kikwit plus à l’Ouest, ce sont les magistrats locaux qui ont organisé une marche pacifique pour dire non à la réforme de la justice, une réforme jugée inopportune.

Objectif de la réforme : empêcher des poursuites judiciaires contre le clan Kabila ?

Félix Tshisekedi avait déclaré que l’année 2020 serait une année d’actions. Il a exprimé sa détermination à concrétiser l’Etat de droit en luttant contre la corruption et les détournements de deniers publics. Dans cette optique, des poursuites judiciaires ont été lancées contre son propre directeur de cabinet, Vital Kamerhe. Celui-ci a été reconnu coupable de détournement de deniers publics et condamné à 20 ans de travaux forcés. Il croupit aujourd’hui en prison. Ce procès de Vital Kamerhe a été salué par de nombreux observateurs de la scène politique congolaise qui y voient le début d’un Etat de droit en RDC.

Beaucoup ont alors souhaité que des poursuites judiciaires s’étendent jusqu’au camp de Joseph Kabila où de nombreux cas de corruption et détournements ont été dénoncés tout au long de ses 18 ans de règne. C’est alors que subitement, les députés kabilistes lancent ce projet de réforme de la justice, pour donner plus de pouvoir d’injonction au ministre de la Justice sur les magistrats. Et l’actuel ministre de la Justice, Celestin Tunda Ya Kasende, est lui-même kabiliste. Et donc, l’intention de bloquer l’indépendance de la justice ne fait aucun doute.

Ainsi, s’il est adopté au Parlement, le projet de réforme Aubin Minaku et Garry Sakata renforce le pouvoir du ministre de la Justice qui pourra désormais à sa guise bloquer l’action des magistrats. L’opposition et la population s’interrogent sur l’utilité de cette réforme alors que le pays a d’autres priorités telles que l’économie, la sécurité, la réforme de la Commission électorale nationale, etc.

Un projet qui ne fait pas l’unanimité

L’examen de ce projet de loi au Parlement a divisé même la coalition au pouvoir. Les députés pro-Tshisekedi ont claqué la porte de la commission politique, administration et justice de l’Assemblée nationale où le dossier était en cours de traitement.

L’Eglise catholique et le syndicat des magistrats congolais, ont également condamné la démarche visant à réduire le pouvoir des magistrats au profit du ministre de la Justice. Pour la Conférence épiscopale nationale du Congo, une telle démarche porte atteinte à l’État de droit et risque de plonger le pays dans le chaos. Même prise de position du côté de la communauté internationale. Les États-Unis, le Canada et le Royaume uni se disent inquiets de ce projet de réforme de la justice en RDC.

Réforme ou coup monté par les proches de Kabila ?

Ce projet a tout d’un coup monté contre l’indépendance de la justice en RDC. Car, avant que le gouvernement ne donne ses observations dessus, le ministre de la Justice avait déjà donné l’avis favorable, à l’insu du gouvernement et du président de la République. Lors du conseil des ministres du vendredi 26 juin, les membres du gouvernement et le chef de l’Etat étaient surpris d’apprendre que le ministre de la Justice Tunda Ya Kasende avait déjà donné les observations du gouvernement sur ce projet de réforme, alors qu’ils n’étaient pas informés. Ce qui a créé un incident grave pendant le conseil des ministres. Conséquences : le ministre a été arrêté pour faux et usage de faux avant d’être relâché quelques heures après.

La tension est encore vive autour de cette affaire en RDC. Car, le cabinet du Premier ministre a condamné l’arrestation de Tunda Ya Kasende, la jugeant arbitraire et brandissant la menace de démission du gouvernement tout entier. Rappelons que le Premier ministre est également proche de Joseph Kabila.