Les amitiés les plus fortes sont parfois celles qui ont une espérance de vie très courte. Je me suis fait un nouvel ami, Sabin Oké. Souffrez que je vous parle de cet être qui, pour moi, est exceptionnel.
J’ai rencontré Sabin à Possotomé à 80 kilomètres de Cotonou au Bénin. Possotomé, son petit paradis. Sabin fait partie des Petits Princes, une association dont je vous parlerai très certainement. Pour le moment j’ai envie de vous parler de Sabin.
Dans le cadre du programme Connexions Citoyennes par CFI Coopérations Médias, 13 porteurs de projets originaires de différents pays d’Afrique ont eu l’opportunité de se rendre à Possotomé, au village Ahémé pour travailler à la relance de la radio communautaire FM Ahémé. Nous étions supposés collaborer avec les Petits Princes, une association de jeunes originaires de Possotomé.
Au départ je n’ai pas remarqué Sabin. Blanchard et Marcel sont ceux qui ont immédiatement attiré mon attention. Blanchard avait un air très sérieux, et je me suis dit « Je vais devoir me tenir à carreau : il n’a pas l’air de rigoler ! ». Marcel était plus ouvert, bien que discret. Il s’assurait que nous ne manquions de rien.
Je n’ai réalisé la présence de Sabin que le deuxième jour, lorsque nous avons rendu visite au Hounon, l’autorité Vodoun suprême au Bénin. Sabin était à côté de moi et, ne voulant commettre aucun impair, je me suis naturellement tournée vers lui. Je lui posais des questions avant de faire le moindre geste. La question qui revenait souvent était bien évidemment « J’ai le droit de prendre des photos ? ».
Sabin a répondu à toutes mes questions sans agacement. Il m’a expliqué la culture Vodoun, la place du Hounon dans la société, les rites d’initiations, les raisons pour lesquelles les gens adhéraient au culte Vodoun. Il semblait tout savoir, et mes « Pourquoi » et « Comment » obtenaient toujours réponse. J’ai quitté le palais Vodoun et le couvent d’initiation riche d’images et d’informations sur la culture Vodoun et la vie culturelle, sociale et politique de Possotomé grâce à Sabin.
Je l’ai revu le lendemain au Village Ahémé dans la salle de travail. C’est à ce moment que j’ai réalisé qu’il était un Petit Prince. Au cours des discussions j’ai appris qu’il n’était pas Vodoun, mais chrétien. Il ne vivait pas à Possotomé mais à Cotonou où il est étudiant en communication. Alors comment était-il aussi informé sur la région et pourquoi était-il aussi passionné par FM Ahémé ? Pourquoi travaillait-il aussi dur pour la relance de la radio ? Pourquoi allait-il jusqu’à prendre la parole devant des aînés, des membres du Conseil d’administration et de la direction de la radio pour les contredire dans le seul intérêt d’une radio qui, en toute logique, ne lui servait à rien dans l’évolution de sa vie ?
Sabin n’est pas de Possotomé. Son père est de Porto Novo et sa maman de Ouidah. C’est sa grand-mère maternelle avec qui il a toujours vécu qui était de Possotomé. « Je dois absolument tout à la communauté de Possotomé, et je travaillerai toute ma vie au développement de ce village » m’a-t-il dit de nombreuses fois.
Sabin dit être un villagien. Selon lui, « Un villagien est plus villageois qu’un villageois ». Il dit ne pas exister sans Possotomé. Pourtant il n’y a pas eu la vie facile. Il a vécu dans une grande pauvreté et se souvient encore des nombreuses nuits où il est allé se coucher le ventre vide. « Je pleurais la nuit tellement j’avais faim. » Il en ri aujourd’hui.
Le jeune homme n’a peut-être pas eu la vie facile, mais remercie Dieu d’avoir grandi à Possotomé. « Comme beaucoup de Béninois, mes parents sont allés chercher une vie meilleure au Nigéria. J’ai vécu avec ma grand-mère. Elle était plutôt âgée et me passait mes caprices, ce que la communauté n’acceptait pas. J’ai vécu à une époque où tout adulte était le parent de tout enfant. Ils avaient tous le droit et même le devoir de nous frapper si nous faisions des bêtises où s’ils jugeaient notre comportement irrespectueux. Je ne suis pas seulement l’enfant de ma mère et de mon père. Je suis l’enfant de toutes les femmes et de tous les hommes de Possotomé car ils ont tous participé à mon éducation. J’ai été corrigé par chacun d’eux. »
Les Petits Princes ne sont plus aussi petits que lorsqu’ils ont rejoint l’association, mais ils restent inséparables. « Je pleurais beaucoup quand j’étais enfant. Je pleurais pour un rien. C’est à force de moqueries et de rigolades que Blanchard, Maurice, Wilfried et les autres ont réussi à faire de moi un homme. Grâce à chacun d’eux je suis devenu plus fort, plus résistant. C’est grâce à eux que j’ai aujourd’hui la force d’encaisser les coups, d’où qu’ils viennent. Ils ont fait de moi un homme. C’est à Possotomé que je suis devenu un homme. »
Même son succès dans les études, il l’attribue à sa communauté. Il n’est pas allé aussi loin par sa propre volonté selon lui. « Possotomé n’avait pas d’électricité et nous révisions nos leçons avec des lampes à pétrole. Le village était complètement obscur dans la nuit, mais le fait de voir des fenêtres ouvertes et éclairées nous faisait savoir que nous n’étions pas seuls, que d’autres révisaient de nuit eux-aussi. C’était plus qu’un encouragement, c’était une espèce de concurrence entre nous. Il était hors de question de ne pas avoir sa lampe allumée quand c’était le cas pour les autres. Grâce à ce système, nous réussissions à l’école ».
Sabin ne reste jamais longtemps loin de Possotomé. Les activités de la communauté lui tiennent trop à cœur. Durant les vacances, outre les cours de soutien, les Petits Princes organisent des activités champêtres afin que les jeunes qui reviennent de la ville où ils vont à l’école ne s’éloignent pas de l’agriculture. Ces activités qui se poursuivent sur toute l’année, animées par ceux qui restent au village, permettent d’alimenter les enfants mal nutris du centre de nutrition créé par François Houessou, l’initiateur des Petits Princes en 1999.
Sabin est également passionné par le travail ethnographique effectué par son association. Ils vont de village en village, s’informent de leur histoire et de leur culture, la documentent puis organisent des comédies musicales pour relater ce qu’ils ont appris aux communautés.
« Pourquoi quitter le village ? Si nous le quittons, qui va le développer ? ». La présence de Wilfried appuie cette déclaration de Sabin. Wilfried est un enfant de Possotomé qui a vécu à Cotonou puis s’est envolé pour Paris. Mais Wilfried n’a jamais quitté les Petits Princes. Il rentre au village durant les vacances et cultive la terre comme il le fait depuis son enfance.
« Partout où j’irai je promouvrai Possotomé. J’en parle tellement que mes camarades à l’université ne rêvent que d’y aller. Chaque fois que je retourne à Cotonou ils me posent de nombreuses questions sur ce qui se passe au village. Je suis fier de voir cet intérêt. Je suis fier de voir les gens aimer Possotomé grâce à moi. Je dois développer ce village, c’est mon devoir en tant qu’enfant de la communauté. Possotomé c’est ma famille et je veux rendre mes parents et mes frères et sœurs fiers de moi et fiers d’où ils viennent. »
Je n’aurais jamais cru qu’on puisse autant aimer sa communauté. Sabin est exceptionnel à mes yeux, et je souhaitais vous raconter son histoire pour que vous aussi, vous connaissiez mon ami. Je voulais vous faire connaitre ce jeune homme fier d’être né dans la pauvreté parce qu’elle lui a appris à profiter des choses simples. Je voulais vous faire connaitre ce jeune homme fier d’avoir été recadreé par des gens qui avaient à cœur son éducation. Je voulais vous faire connaitre ce jeune homme fier d’être un villagien et qui ne rêve que de le rester.