Ou même affaire, mêmes protagonistes et quelques nouveaux figurants ?
Si l’on en croit l’article paru à la Une du Daily Nation jeudi dernier, il semblerait que ce soit cette dernière hypothèse qui décrive le mieux le scénario kenyan
La Une du Daily Nation du jeudi 24 mai 2018
Ce récit ressemble étrangement à celui qui a circulé pendant des mois dans la presse kenyane en 2016. Pour ceux qui n’ont pas entendu parler de l’affaire du scandale du Service national de la jeunesse (NYS), dans le cadre de laquelle une perte présumée de plus de 3 milliards de KSh (environ 30 millions d’USD) avait conduit au licenciement de la ministre de la Décentralisation et de la Planification et du Secrétaire principal Peter Mangiti, une coiffeuse du nom de Josephine Kabura aurait remporté des appels d’offres de plusieurs millions auprès du NYS. Elle aurait empoché jusqu’à 1,6 milliard de KSh pour le compte d’individus puissants du pays.
Dans son témoignage dans le cadre des enquêtes menées par le Comité parlementaire des comptes publics à l’époque, Kabura avait déclaré que des paiements lui avaient été versés pour le compte de la ministre de la Planification de l’époque, une allégation que cette dernière a vivement démentie. Dans son témoignage public et lors de ses apparitions dans les médias, la ministre a affirmé n’avoir jamais rencontré Madame Kabura. Mais des photos des deux femmes, qui auraient participé à plusieurs cérémonies publiques ensemble, sont apparues dans les réseaux sociaux. À ce stade, nous ne pouvons cependant pas affirmer avec certitude si elles sont authentiques ou s’il s’agit de montages.
Bonjour @AnneWaiguru : Ceci est une photo non datée de vous-même et de Josephine Kabura lors d’une cérémonie publique. Vous ne la connaissez vraiment pas ?#CofeKShoppingWeekend pic.twitter.com/YVGPZiIFkm
— Association des consommateurs du Kenya (COFEK) (@ConsumersKenya) 4 novembre 2016
Le plus choquant est cependant l’explication que Madame Kavura a fournie quand on lui a demandé comment elle avait transporté les importantes sommes d’argent qu’elle avait retirées de ses comptes bancaires pour le compte de ses « présumés marionnettistes ».
« Je transportais l’argent dans un seul sac à la fois jusqu’au site. Un sac contenait entre 10 et 20 millions de KSh », a-t-elle déclaré au Comité des comptes publics enquêtant sur l’escroquerie initiale.
Aujourd’hui, un autre scandale de corruption a été relayé par les médias kenyans, indiquant que le même ministère aurait pu perdre jusqu’à 9 milliards de KSh – trois fois la somme perdue lors de la première escroquerie ! Plus intéressant encore, la ressemblance frappante dans la façon dont l’argent a été siphonné.
Les organismes chargés de l’enquête ont déjà interrogé 42 personnes en lien avec le nouveau scandale et préparent des chefs d’accusation contre quelques-unes d’entre elles.
Comme dans l’affaire Kabura, cette fois aussi, une femme a empoché 60 millions de KSh pour la fourniture d’articles qu’elle était incapable de justifier aux organismes chargés de l’enquête. Les médias locaux rapportent que Mme Ann Wambere Wanjiku Ngirita, 30 ans, s’était vue attribuer un contrat d’approvisionnement avec le NYS, sans même suivre le processus d’appel d’offre habituel.
Tout ce que cette femme de 30 ans a eu à faire a été de se rendre au siège du NYS et de demander à la personne chargée des passations de marché de l’autoriser à fournir les biens.
– Daily Nation
Selon les documents consultés par Daily Nation relatifs à sa déclaration aux enquêteurs, Mme Ngerita ne sait ni où les biens ont été achetés, ni leur coût et s’ils ont été livrés bien qu’elle en ait elle-même rédigé les factures.
Il semble évident que certaines personnes interrogées dans le cadre des scandales de corruption actuels aient été de simples pions utilisés dans un jeu d’échec mis en scène et dont le seul objectif était de « capturer » des milliards de fonds publics par le bais d’une fourniture de biens et services inexistants.
Les rapports d’enquête indiquent que certaines d’entre elles ont empoché une somme dérisoire de 500 000 KSh sur des contrats de plusieurs millions. La question est donc de savoir qui a empoché le pactole ?
Le scandale de corruption actuel au NYS, un organisme chargé de la formation en compétences de vie des jeunes, est la preuve que la purge initiale qui avait entraîné la démission de la ministre et de la direction du ministère n’a en réalité pas porté ses fruits. Peut-être que ceux qui ont été affectés par la purge n’étaient en réalité pas impliqués dans l’escroquerie initiale mais ont été simplement piégés par des individus puissants ou influents pour servir de bouc émissaires.
Le budget du NYS s’élevait à 2,4 milliards de KSh en 2014, mais en 2017, ce budget a été multiplié par 10 pour s’établir à 25 milliards de KSh !
La hausse du budget alloué au NYS était-elle justifiée par un objectif de développement spécifique ou quelques individus de haut rang ont-ils intentionnellement gonflé le budget pour pouvoir siphonner des fonds publics ?
A vrai dire, les enquêtes sur les scandales du NYS se sont toujours concentrées sur les informations fournies par les médias, qui font leur une avec des récits scandaleux sur la façon dont des bénéficiaires de bas niveau sont partis avec des millions de fonds publics tandis que les véritables cerveaux de l’escroquerie qui ont influencé la hausse des budgets et ont en définitive bénéficié des fonds pillés restent confortablement à leur poste au sein du NYS.
Il est temps que nous cessions de nous intéresser aux actrices de second rôle et aux figurants, et que nous fassions la lumière sur les véritables acteurs de ces gigantesques scandales de corruption au Kenya. Nous serions surpris de voir où cela nous mènerait.