« Un mal qui répand la terreur » pour reprendre le célèbre vers de La Fontaine, c’est ce en quoi nous assistons ces jours-ci. Qui l’eut cru. Le Sénégal, pays de téranga, est en proie à une série d’agressions sexuels, parfois mortels, dont les victimes sont les enfants, garçons comme filles.

Il ne se passe plus en seul jour sans qu’un bébé ou un enfant ne soit agressé, violenté ou tué par un détraqué. Cette situation a fini d’installer la psychose dans la population car telle une pieuvre, le mal étend ses tentacules partout. Aucun milieu (sportif, religieux, scolaire, espace public) n’est épargné.

Même si les violences commises contre des mineurs ne sont pas des faits nouveaux, force est de constater qu’elles connaissent une progression inquiétante.

Les abus sexuels sur les mineures (ASM) sont selon Baccino « la participation d’un enfant ou d’un adolescent dépendant à des activités sexuelles qu’il n’est pas en mesure de comprendre, qui sont inappropriées à son développement psychosexuel, et donc auxquelles il ne peut donner un consentement éclairé, ou qui transgressent des tabous sociaux relatifs aux relations intrafamiliaux ». Les ASM entraînent un bouleversement de l’ordre social établi, elles sont la conséquence d’un dysfonctionnement de la société. L’enfant n’est plus perçu comme un symbole, un être à protéger, mais devient un objet sexuel à la merci d’un adulte. Comme l’ont admis les Professeurs MANCIAUX Michel et STRAUS Peter, « il n’est pas facile d’admettre que des adultes – souvent ceux-là même qui ont la responsabilité d’un enfant – se livrent sur celui-ci à des actes de violence, physique ou mentale, au point de compromettre son développement, sa santé et parfois sa vie : cela semble tellement contraire aux lois élémentaires de protection de l’espèce ! Il est encore moins aisé pour un pays ou une société, de reconnaître que de tels faits ont lieu en son sein : d’où sans doute « la loi du silence » qui a si longtemps entouré et entoure encore parfois, ce phénomène de l’enfance maltraitée ».  Cette « loi du silence » est encore beaucoup plus présente au Sénégal où, « une des principales caractéristiques des sociétés sénégalaises traditionnelles, c’est que la parenté ne s’y présente pas comme un simple fait (biologique et sociologique). Elle est également une valeur et en tant que telle désirée et recherchée.
Comme nous le rappelle GUEYE Mame Safiétou Djamil « la société règle les problèmes sociaux de sorte que tout soit en conformité avec la cohésion et l’harmonie sociale. Elle ne cherche pas l’intérêt individuel mais au contraire elle prime et valorise l’intérêt collectif sur celui de l’individu ». Cela au mépris des conséquences que cet abus peut avoir sur la vie future de la victime. Nous sommes en mesure de distinguer les conséquences physiques, psychologiques et sociologiques.

Ce phénomène ne cesse de progresser même si, depuis plusieurs années, une attention accrue est accordée au problème des ASM. De plus en plus de travaux sont effectués sur ce sujet d’actualité, qui est un problème social touchant un nombre élevé d’enfants, et d’avantage d’adolescents. Certes le problème des ASM a toujours existé et a suscité de multiples interrogations de la part des adultes. Des interrogations qui jusqu’à présent n’ont pas trouvé de réponses. Chacun peut être confronté aux déclarations d’un enfant à ce sujet; tout le monde s’alarme le jour où un enfant semble souffrir. Certains professionnels y sont particulièrement exposés. Ce sont notamment les enseignants, les médiateurs, les éducateurs, les animateurs de jeunesse, les pédiatres, les gynécologues, les policiers, les psychologues et les journalistes. L’intérêt à bien comprendre le mécanisme de l’abus sexuel, l’importance que la société accorde à ce phénomène et la manière dont elle le traite réside dans le fait qu’il affranchit la victime de l’inutile sentiment de culpabilité lié à son acquiescement et qu’il propose d’autres voies pour expliquer les événements qui suscitent la honte et le mépris. L’abus sexuel durant l’enfance représente un problème sérieux ayant de néfastes conséquences pour les victimes tant sur le plan individuel que collectif. Les problèmes psychologiques et interpersonnels sont plus fréquents chez les victimes de telles agressions que chez les autres. Il reste que le quotidien des Sénégalais est marqué par la narration par de nombreux journaux, de cas multiples d’abus et d’exploitation sexuels sur des mineures.
C’est là sans doute un indice significatif de l’ampleur du phénomène au point que les autorités policières et juridiques sont régulièrement mobilisées pour le combattre. Cela dans un environnement où le chômage croissant des jeunes, la persistance de la migration vers les grandes villes, l’affaiblissement des liens familiaux et claniques, l’inadaptation de l’école, l’inadéquation des lois et des règlements urbains, les risques accrus de criminalité dans la vie quotidienne de la ville, l’inquiétude des citadins appelant des réactions répressives, l’image négative des enfants et de la jeunesse font du phénomène des ASM un phénomène social.

Il n’est plus facile de nier la présence des ASM dans notre société. Toutefois, ils sont souvent relégués ou associés aux faits divers les plus atroces. Ou lorsqu’ils sont reconnus, il est établi dans la « conscience populaire » que ce sont des actes perpétrés par des étrangers ou plus précisément des touristes alors que la réalité est plus banale. Face à l’ignoble, à défaut d’accuser l’autre, l’étranger, on se voile la face. Un pur déni de vérité.

Cependant, les sociétés se départissent de plus en plus de cette loi du silence, et cela commence aussi à être le cas au Sénégal, les parents de victimes portent de plus en plus les affaires devant des tribunaux. Alors qu’au préalable, le problème se résolvait le plus souvent à l’amiable et quittait rarement le cercle familial pour éviter l’éclatement de la structure familiale, et par conséquent maintenir la cohésion sociale. Le fait que les familles portent au devant de la scène les ASM ne restreint plus ce dernier au champ familial, mais implique bien d’autres groupes. Parmi ces groupes, nous pouvons citer les policiers, les journalistes, la société. Il y a aussi les structures qui devant les ASM de plus en plus révélés ont mis en place des stratégies pour venir en aide aux victimes.

Pour quelles raisons les familles mettent-elles les affaires relatives aux ASM au devant de la scène au mépris de la cohésion sociale ?
Une fois que cet abus est au devant de la scène, de quelle manière est-il traitée par les journalistes, les policiers et les structures de prise en charge ?
De quelle manière la population analyse-t-elle le phénomène des ASM ?