Le 25 mai dernier, un message radio-porté provenant du ministère de la défense instruisait que soient interpellés les leaders d’opinion et « individus malveillants » qui diffusent des discours de haine sur les réseaux sociaux et autres plateformes de communication.

Le message, signé par le Secrétaire d’État auprès du ministre de la Défense chargé de la Gendarmerie nationale Galax Etoga, a été reçu avec beaucoup d’approbation de la part des internautes qui n’ont pas manqué de relever qu’au Cameroun les réseaux sociaux et même les médias traditionnels sont devenus des réservoirs de haine et de tribalisme, et que cela se passe au vu et au su de tous.

Tribalisme et discours de haine

Depuis l’élection présidentielle de 2018 au Cameroun, le tribalisme et les discours de haine ont pris de l’ampleur sur les réseaux sociaux et même hors ligne. Que ce soit sur les plateaux de télévision, dans la presse ou dans les vidéos diffusées sur internet, on assistait médusés à l’expression d’un tribalisme décomplexé et sans retenue. Face à cela, on n’a pas beaucoup entendu les autorités réagir, et leur silence résonnait à l’oreille des auteurs de ces actes comme une validation de leurs pratiques.

D’ailleurs, il n’est pas faux de dire que lesdites autorités ont surfé sur la fibre ethnique pour tenter d’ostraciser certains partis d’opposition. Lorsque les militants du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) étaient arrêtés dans le cadre des marches organisées pour protester contre le hold-up électoral, les forces de l’ordre ne manquaient pas de demander aux personnes qui n’étaient originaires de la même région que le président du MRC Maurice Kamto, ce qu’ils faisaient dans « les choses des bamiléké ».

Il a toujours été question dans l’environnement politique Camerounais, d’ethniciser les partis politiques. C’est ainsi que le MRC est cantonné à l’Ouest Cameroun (chez les bamilékés), tandis que le PCRN est réduit à l’ethnie Bassa, l’UDC est limitée au département du Noun dans la région de l’Ouest, le SDF attribué aux anglophones, etc. Chaque parti est censé être celui de la région d’origine de son président

Après 2018, rien n’a plus été comme avant au Cameroun. Un conflit entre deux individus appartenant à des communautés différentes devenait un conflit intercommunautaire, et c’est sans complexe que des leaders d’opinion et autres éminentes personnalités (à l’instar du Pr Claude Abe sur un plateau de télévision) en arrivaient à inviter certaines communautés à rentrer chez elles parce qu’elles envahissaient les autres chez eux.

Silence radio du côté des autorités

Jusqu’ici, on a difficilement vu les autorités réagir, si ce n’est le Conseil National de la Communication (CNC) dont les sanctions à l’endroit des journalistes ou des émissions sont en général ignorées sans conséquence aucune. On peut donc comprendre l’enthousiasme des camerounais lorsque dans sa sortie, M. Galax Etoga instruit de « procéder systématiquement à l’interpellation et à l’ouverture d’une procédure judiciaire a l’encontre de toute personne se rendant coupable de propos faisant l’apologie de la haine tribale ».

Le plus étonnant quand on y pense, c’est que le Secrétaire d’État auprès du ministre de la Défense chargé de la Gendarmerie nationale convoque la n°2019/020 du 24 décembre 2019 qui réprime le tribalisme et les discours de haine. Pourtant, le 24 mai dernier, des tensions naissent entre les communautés Bamoun et Bulu à Sangmelima dans le Sud du Cameroun. Comme d’habitude, tout part d’un différend entre deux personnes, et se termine par le passage à tabac des ressortissants bamoun et le saccage de leurs propriétés.

On se serait donc attendus à ce qu’il y ait application de la fameuse loi pour que les commanditaires soient trainés devant les tribunaux compétents. Mais non, jusqu’ici, aucune information n’a fait état d’une quelconque arrestation, ni d’aucun procès malgré les vidéos qui circulent sur internet. Rappelons qu’en 2019 déjà dans la même ville, de nombreux bamoun avaient été chassés et leurs boutiques pillées après que l’un des leurs ait été accusé du meurtre d’un autochtone.

Des communiqués pour se donner bonne conscience ?

Que penser donc du communiqué de M.Galax Etoga, et des nombreuses communications et autres ateliers sur la lutte contre les discours de haine et le tribalisme que les autorités camerounaises déploient depuis quelques temps ? À l’heure actuelle, il serait bien optimiste d’en espérer quoi que ce soit de pertinent. Une chose est sûre, les intimidations ne seront pas assez pour venir à bout du tribalisme et des discours de haine. Tant que le sentiment d’impunité prévaudra et que le laxisme des pouvoirs publics continuera, tant que des actions concrètes ne seront pas prises, le tribalisme et les discours de haine auront de beaux jours devant eux.

Moudjo Tobue

Photo: jozuadouglas/Pixabay