Depuis la fin des années 70, les politiques kenyanes ont été un jeu de chiffres ethniques. Un jeu perfectionné par l’avènement de la démocratie multipartite au début des années 1990, quand le précédent Président Daniel Arap Moi a autorisé l’abrogation de la Section 2A de l’ancienne Constitution kenyane. Depuis lors, les dynamiques politiques se sont caractérisées par l’opposition des différentes communautés. L’effort le plus aboutit en la matière date de 2002, quand 41 tribus se sont opposées à la communauté Kalenjun au pouvoir, qui avait maintenu le Président Moi au pouvoir pendant 24 ans. La conséquence fut la victoire écrasante de l’opposition, menée par Mwai Kibaki.

Ce dernier dirigea le pays au travers de sa coalition, la National Rainbow Coalition. Celle-ci a été constituée par de grands barons tribaux. Raila Odinga, qui est le chef de facto de la tribu Luo fut un partenaire essentiel de cette coalition. M. Odinga se plaignit plus tard du non-respect d’un protocole d’accord conclu entre Kibaki et ses partenaires au sein de la coalition. En conséquence, Odinga s’associa à ce qui restaient à Kanu et d’autres tribus autres que la tribu Kikuyu, qui est celle de Kibaki, pour former l’Orange Democratic Movement (ODM), afin d’empêcher que Kibaki ne soit réélu. Le résultat fut les élections présidentielles contestées de 2007, que nombre de personnes considèrent comme ayant été remportées par Odinga, bien que la victoire lui ait été refusée. Les violences ethniques qui s’ensuivirent résultèrent sur un gouvernement d’unité nationale, le pouvoir étant partagé entre Kibaki et Odinga.

Les violences observées en 2007/2008 constituent le niveau le plus bas jamais atteint par la politique tribale au Kenya. En 2012, de nouvelles dynamiques ethniques aboutirent à l’élection d’Uhuru Kenyatta, ancien président sortant, après qu’il soit parvenu à unifier les Kikuyu et les Kalenjin avec l’aide de son adjoint, William Ruto.

Dans toutes ces dynamiques ethniques, les autres postes électifs étaient alignés de manière similaire dans les régions respectives – essentiellement des bastions ethniques. Par exemple, dans les régions ODM, les candidats figurant sur les listes ODM remportèrent tous les sièges. Ils venaient essentiellement de la même tribu. La même chose est vraie des autres partis.

Alors que le Kenya se prépare à se rendre aux urnes plus tard cette année, quelques changements ont été apportés à la loi électorale. Auparavant, il fallait appartenir à un parti politique pour figurer sur les listes électorales. Ceci a été modifié par la Constitution de 2010 afin de permettre l’existence de candidats indépendants.

Les candidats populaires à des postes autres que celui de Président, qui avait perdu lors des primaires en raison de pratiques électorales injustes, se présentent désormais comme candidats indépendants. Ce qui a considérablement agacé les barons tribaux car pour une fois, il existe une forte probabilité qu’ils perdent le contrôle des électeurs dans leurs régions.

  1. Odinga, qui cherche maintenant à détrôner Uhuru Kenyatta avec sa coalition, la NASA, déclara ce qui suit des candidats indépendants ce week-end :

 “Le Gouvernement verse de l’argent aux partis politiques en fonction de leur pouvoir au sein du Parlement… Je veux les individus qui me rapporteront de l’argent sur mon compte ODM”.

Il convient de noter que M. Odinga s’exprimait en Luo, lors d’un enterrement dans son comté de Siaya. Ses déclarations n’avaient rien à voir avec la volonté du peuple, mais plutôt avec les membres du parlement et les sommes d’argent versées à son parti.

Les sentiments qu’il a pu exprimer à cette occasion déclenchèrent un énorme débat sur les médias sociaux. Son appel au rejet des candidats indépendants fut également rejeté.

Les électeurs rejetant ouvertement leurs dirigeants et exprimant leur soutien aux candidats indépendants, le Kenya va se trouver dans une révolution politique forcée. Un type de révolution qui verra la chute de l’influence des barons tribaux et l’avènement d’électorats prenant leurs décisions en fonction de facteurs autres que leur lieu de naissance ou la coalition à laquelle leur tribu se rattache.

L’apogée de cette révolution pourrait ne pas être immédiate, mais 2017 figurera certainement dans l’histoire comme l’année de son avènement.