Trente-huit ministres dont huit femmes, c’est la composition du nouveau gouvernement du Sénégal dirigé par le premier Ministre Amadou Ba.

Une équipe mise en place au lendemain des élections législatives qui ont confirmé une très nette régression de la mouvance présidentielle sur l’ensemble du territoire national. Avec des 14 entrées, 11 sorties et 20 restants dont 06 permutations, le nouvel attelage gouvernemental soulève plusieurs interrogations à dix-huit mois de la présidentielle.

Le 10 décembre 2021, l’Assemblée nationale du Sénégal adoptait, en procédure d’urgence, un projet de loi qui ramenait dans l’arsenal institutionnel le poste de premier ministre supprimé en 2019 par le Président Macky Sall. Et depuis neuf mois, les sénégalais guettaient avec intérêt la désignation du nouveau chef du gouvernement.

Annoncé aux lendemains des élections locales de janvier 2022, c’est finalement le samedi 17 septembre 2022 que le chef de l’Etat sénégalais, par décret 2022-1774 du 17 septembre 2022, a nommé Monsieur Amadou Ba premier ministre de la République du Sénégal. Une nomination précédée, la veille, d’une adresse à la nation du président Macky Sall pour fixer des tâches prioritaires au nouveau gouvernement parmi lesquelles la réduction du coût de la vie et la gestion des inondations. Cependant, le choix des hommes pour remplir cette mission soulève plusieurs interrogations.

Un gouvernement politique

Pour un « gouvernement de combat », Macky Sall a fait dans la continuité. En effet, sur les trente-huit ministres, trente-sept sont des responsables politiques de la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar et les trois quarts de l’Alliance pour la République (APR). Seule exception, la nouvelle ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération, Madame Oulimata Sarr, précédemment Directrice de ONU FEMMES en Afrique de l’Ouest.

En faisant ce choix, le président Macky Sall renouvelle sa confiance au camp qui l’a porté au pouvoir malgré les mauvais résultats obtenus lors des deux dernières consultations locales et législatives. Une attitude qui, selon certains observateurs en dit long sur la volonté du patron de l’APR de faire face à l’opposition qui a presque réussi à instaurer la cohabitation à l’hémicycle. Dès lors, le premier ministre, Amadou Ba, qui a décliné ses priorités à savoir « l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages, la stabilité des prix, la sécurité, le logement, l’éducation, l’emploi » aura un autre chantier, plus politique, avec l’entrée en force dans le gouvernement des plus fidèles lieutenants de Macky Sall et défenseurs invétérés d’une troisième candidature en 2024.

Troisième candidature en ligne de mire

Alors qu’il été attendu sur la question du troisième mandat, lors de son adresse à la nation, le président de la République a gardé le silence, préférant mettre l’accent sur les missions assignées au nouveau gouvernement. Si au lendemain de sa réélection Macky Sall prétextait éviter la guerre de succession au sein de son parti, pour ne pas aborder la question du troisième mandat, cet argument se rétrécit comme peau de chagrin au fur et à mesure que l’échéance 2024 approche.

Pourtant, la Constitution du Sénégal en son article 27 est très claire sur la question « La durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Or le Président Sall en est à son deuxième mandat. Malgré la limpidité de la loi et les mauvais résultats de sa coalition aux législatives, le chef de l’Etat Sénégalais fait toujours dans le « ni oui ni non ».

Pire, dans son parti, ce sont les plus grands défenseurs de la troisième candidature, Ismaila Madior Fall, Mame Mbaye Niang, Pape Malick Ndour, Birame Faye qui sont promus au rang de ministre. Ce qui augure une éventuelle candidature de Macky Sall en 2024.

D’ailleurs l’opposition qui craint un forcing appelle dès à présent à résister pour faire barrage à ce qu’elle considère comme une violation de la Constitution.

Amadou Ba, le plan B

Cependant, le rapport de force qui depuis 2012 penchait en faveur de la coalition au pouvoir s’est inversé. Il est même devenu favorable à l’opposition, incarnée par l’inter-coalition Yewwi-Wallu, qui en terme de voix obtenues lors des élections législatives est majoritaire dans le pays.

Une nouvelle reconfiguration politique que le président Sall ne saurait ignorer. Car il s’agit d’un signal fort que lui lance le peuple qui a adhéré au discours de l’opposition qui avait accès sa campagne sur le « non au troisième mandat ».

Une situation qui laisse penser qu’Amadou Ba est le plan B du président sénégalais. Macky Sall qui jusque-là refusait d’avoir un numéro 2, s’est résigné à rappeler son ancien ministre de l’Économie et des Finances à ses côtés et à un poste hautement stratégique.

Amadou Ba premier Ministre, à dix-huit mois de l’élection présidentielle, apparait comme le dauphin naturel du leader de l’APR qui, s’il décide de ne pas se représenter pour 2024 aura toujours une carte à jouer.

D’ici là, il va falloir pour les hommes du président travailler d’arrache-pied pour restaurer la confiance entre l’Etat et les citoyens. Le délai est-il suffisant ? Rien n’est moins sûr.

Photo: President Macky Sall of Senegal –  MONUSCO Photos/Flickr (CC BY-SA 2.0)