Des Tchadiens de tout bord sont réunis au palais du 15 janvier pour un dialogue national inclusif.

Une rencontre censée jeter les nouvelles bases de l’État après la mort du président Idriss Déby Itno, en fonction depuis trois décennies. Mais ces assises se tiennent sous fond de contestation de la société civile et des partis politiques.

C’est avec fracas que des participants au dialogue national inclusif et souverain avaient claqué la porte le 26 août.  Ils ont quitté la salle du palais du 15 janvier baptisée palais de la culture et des arts pour protester contre la désignation des membres du bureau du présidium. Une équipe composée de 21 personnes avec à leur tête l’ex-député Gali Gatta Ngothé. À la présentation de la liste des membres du présidium, la salle s’est mise en ébullition : « Non… cette liste ne passera pas… Elle n’est pas représentative… Elle est montée de toutes pièces… On veut nous imposer un présidium… », le ton est haussé par les 1.500 participants cantonnés dans le lieu. Après avoir quitté la salle les uns après les autres en signe de contestation, ils se sont livrés au micro des centaines de journalistes dans le hall : « Hier, ils ont fait passer le règlement intérieur par la force. Aujourd’hui, on nous concocte un présidium de toute toutes pièces, ce n’est pas normal », dénoncent-ils de vive voix.

La veille, le Comité d’organisation du dialogue national inclusif et souverain (CODNIS) avait demandé aux participants de se regrouper par corporation et soumettre leurs listes. Plus de 500 candidats sont enregistrés pour vingt et une places. Pour couper la poire en deux, le comité d’organisation dit avoir étudié les listes et retenu ceux dont les noms ont provoqué la colère des participants.

Le passage en force du CODNI

Les contestations ont éclaté très tôt. Déjà avec l’article de 37 du règlement intérieur qui a divisé les participants. Selon les dispositions de cet article, les recommandations et résolutions sont prises par consensus. En cas de non consensus, il peut être procédé au vote par main levée. Un point soutenu par un groupe et rejeté fermement par un autre.  « Le vote est une liberté fondamentale, et doit se faire par bulletin secret pour garantir la liberté de choix » a soutenu le défenseur des droits de l’Homme, Mahamat Nour Ibedou et d’autres chefs des partis politiques et des chefs rebelles mais en vain. Le document finit par être adopté sous contestation par acclamation.  Pour calmer les ardeurs des mécontents, les travaux sont suspendus immédiatement pour deux jours de suite.

À la reprise des travaux deux jours plus tard, les dissidents ont regagné la salle avec comme maître mot « éviter la politique de la chaise vide ». « Nous n’allons pas laisser les autres décider à notre place. Nous devons éviter la politique de la chaise vide », justifient-ils leur retour dans la salle. Ce jour, le présidium contesté a été installé sous les ovations d’un groupe et l’opposition des autres. Pour calmer les esprits surchauffés, le président du présidium, Gali Gatta Ngothé promet que son équipe sera réajustée : « Nous allons revoir le présidium », dit-t-il une voix sobre.

Gali Gatta Ngothé, l’homme du consensus

L’homme est connu des Tchadiens. Il fut un opposant farouche au président, Idriss Deby Itno.  Sa probité, son leadership et son engagement pour la justice lui sont reconnus par ses pairs. Et ce n’est pas sa tête qui dérange ceux qui ont élevé la voix à sa désignation. C’est celle plutôt celle d’une dizaine d’autres membres qui passe mal. Ces derniers sont jugés trop proches de l’ancien régime, le Mouvement Patriotique du Salut (Mps), un parti qu’ils accusent de tirer les ficelles dans l’ombre. « Il faut que les militants du Mps sachent que ceux qu’ils sont dans l’opposition comme d’autres partis politiques. Qu’ils cessent avec leurs méthodes dilatoires. Que les choses soient claires pour eux, ce sont les militaires qui sont au pouvoir et non un de leurs militants. Le Conseil militaire de transition (Cmt) n’est pas la suite du Mps », recadrent des participants contestataires.

Le Mps qu’on accuse à tort ou à raison a perdu le pouvoir le 20 avril 2021 après trente ans de règne sans partage. Cela suite à la mort du président, Idriss Deby Itno au front lors de l’incursion du groupe rebelle, le Front pour alternance et la concorde au Tchad (Fact). À sa mort, quinze des généraux instaurent une transition, en promulguant une charte de transition à la place de la Constitution. Et promettent l’organisation d’un dialogue national et inclusif pour jeter les bases d’un Tchad nouveau.

La résistance des boycotteurs

Mais au lendemain de la mise en place de cette structure, des contestations éclatent partout dans le pays.  Des marches sporadiques sont organisées. Elles sont réprimées violemment par des forces anti-émeutes. Ces manifestations contre la junte au pouvoir ont fait une vingtaine de morts selon la plateforme Wakit tamma et le parti Les Transformateurs, deux organisations qui ont appelé au retour à l’ordre constitutionnel. Selon eux, le pouvoir devrait revenir aux civils. Les militaires, eux, affirment qu’ils ont pris leur responsabilité pour éviter au Tchad de sombrer dans la guerre civile après le désistement du président de l’assemblée nationale, Haroun Kabadi.

Ces arguments n’ont pas convaincu Wakit tamma, Les Transformateurs et d’autres corporations pour prendre part au dialogue national inclusif et souverain promis par les autorités de transition. Ces corporations sont d’avis pour la tenue d’un dialogue mais leur participation est conditionnée par : la souveraineté du dialogue ; la sincérité des assises ; l’inéligibilité de ceux qui dirigent la transition aux élections post-transition et un droit de vote paritaire au dialogue, la parité des parties.

Des points qui sont revendiqués depuis l’ouverture du pré-dialogue à Doha au Qatar. Une rencontre qui a regroupé exclusivement des groupes politico-militaires et le pouvoir de transition de N’Djamena. Après cinq mois de négociations, une quarantaine de chefs rebelles ont signé un accord de paix. Parmi eux, on compte les Généraux Mahamat Nour et Timan Erdimi, deux chefs de guerre qui ont vu leurs colonnes échouées à la porte de N’Djamena en 2008.  Par contre, une dizaine de groupes rebelles n’ont pas acté l’accord. Il s’agit notamment du Fact, groupe rebelle à l’origine de la mort du président, Idriss Deby Itno. Et ils ont refusé de rallier N’Djamena pour non-respect de leurs exigences : la révision de la charte de transition, la libération des prisonniers de guerre, d’opinion…

Un comité ad hoc pour convaincre les boycotteurs

Afin de renforcer le caractère inclusif du dialogue national dont la souveraineté a été décrétée à la dernière minute par le président du Conseil militaire de transition, Mahamat Idriss Deby Itno, le présidium a mis sur pied un comité ad-hoc. Une équipe de 26 personnes qui a pour mission pour de ramener à la table du dialogue, les leaders de Wakit tamma, le parti Les Transformateurs, le Groupe d’Appel du 1er juin, l’Union des Démocrates pour le Progrès de Max Kemkoye et le PAPJS de Neatobei Bidi Valentin.  Une tâche qui s’annonce difficile pour le comité ad-hoc selon les observateurs de la vie politique tchadienne.  « Le président, Masra Succès ne va pas nous trahir, nous n’irons pas à ce dialogue dans ces conditions », nous dit un militant des Transformateurs.  Cette posture est partagée par les partisans de la plateforme Wakit tamma qui regroupe les partis politiques et la société civile.  Ils estiment que la sincérité du dialogue n’y est pas.  « C’est un groupe des personnes de l’ancien régime, mélangé à des politico-militaires, à des opposants fabriqués de toutes pièces qui monologuent au palais du 15 janvier. Nous irons que quand toutes les conditions d’un bon dialogue sont réunies », déclarent-ils.

A l’heure actuelle, les contestataires affirment qu’une seule de leurs conditions est prise en compte : la souveraineté du dialogue. Les autres, notamment la révision de la charte de transition, la junte militaire avance qu’il revient au dialogue national d’en décider. Et l’absence de ces contestataires ôte le caractère inclusif au dialogue. Et pourtant la communauté internationale notamment l’Union africaine, l’Union européenne, les Nations unies insistent sur ce point : toutes les composantes des forces vives de la nation doivent participer à ce grand rendez-vous historique.  Pour Les Transformateurs, sans le respect de leurs exigences, ils ne participeront pas au dialogue. Et annoncent déjà un gouvernement « du peuple » d’ici la fin de la transition et du dialogue national inclusif et souverain.

À l’issue de ce dialogue national prévu initialement pour 21 jours, une nouvelle Constitution sera rédigée et par la suite les Tchadiens seront appelés aux urnes. À ce titre, dans les rues de N’Djamena, on souhaite vivement que ces assises réussissent afin de donner une nouvelle chance au pays. Lui permettre mettre fin au cycle infernal des rebellions, à la mauvaise gouvernance, à l’impunité, à la corruption, à l’injustice sociale, à la gabegie et surtout aux conflits inter-communautés qui font des morts chaque fois.

Ces vœux sont marqués de scepticisme.  Des Tchadiens sont craintifs. Ils redoutent que le dialogue ne soit pas sincère et accouche des recommandations qui pousseront des rebelles à garder les armes ou faire engendre des contestations populaires.

La sensation y est malgré le fait que le président du Conseil militaire de transition, Mahamat Idriss Deby Itno ait déclaré le 20 août lors de l’ouverture du dialogue qu’aucun sujet en lien avec l’avenir du pays ne doit être tabou et que les décisions du dialogue seront exécutoires.

Nesta Yamgoto

Photo : Nesta Yamgoto