Le slogan en vogue de cette décennie en Afrique francophone semble être : #TouchePasAMaConstitution. Tres peu de pays africains francophones y ont échappé : Cameroun, Sénégal, Burkina, République Démocratique du Congo, Gabon, Cote d’Ivoire, Togo et aujourd’hui le Mali.

Il y a une volonté manifeste dans ces pays de manipulation des dispositions fondamentales des Constitutions dans le but de sauvegarder des intérêts personnels ou encore de prolonger des mandats pour conserver le pouvoir.

Les constitutionnalistes : des tailleurs à la solde des pouvoirs

Nos constitutions semblent être des vestes que les exécutifs font tailler à la mesure et aux couleurs de leurs ambitions. Elles sont souvent faites sur mesure ou encore les réformes proposées ne sont pas dans le sens de garantir les intérêts fondamentaux des peuples mais plutôt l’ambition de régimes en quête de pouvoir éternel.
Retailler des constitutions à des desseins personnels est devenu une mode, et peu de pays y échappent. La liste des présidents africains ayant joué ce jeu pour se maintenir au pouvoir ou autre est longue nous pouvons donner quelques exemples :

  • Idriss Déby au Tchad en 2000
  •  Abdelaziz Bouteflika en Algérie en 2000
  • Paul Biya au Cameroun en 2011 toujours pour avoir la possibilité de rempiler
  • Abdoulaye Wade au Sénégal en 2011
  • Denis Sassou Ngesso au Congo Brazzaville en 2015
  •  Pierre Nkrurunziza au Burundi en 2015
  • Joseph Kabila en République Démocratique du Congo en 2016
  • Alassane Ouatarra en Côte d’Ivoire en 2016
  •  Et aujourd’hui Ibrahim Boubacar Keita (IBK) au Mali

IBK : à la recherche d’une veste à sa taille
Le cas du Mali nous interpelle tous en ce mois de Juin, où les cyberactivistes ont joué un rôle prépondérant dans la mobilisation des citoyens pour freiner cette modification de la Constitution. Ces derniers, plus tôt dans l’année avaient été accusés de mener des « Débats de Caniveaux » ou encore traités de « Drogués » par leur Président.

L’annonce du vote de la loi portant révision de la constitution du Mali, dans la nuit du 6 juin en catimini, par les députés de la majorité présidentielle a plongé les activistes maliens au devant de la scène.

Si la nouvelle du vote de cette loi qui fait appel à un référendum prévue pour le 09 juillet 2017, leur est parvenue d’abord par les réseaux sociaux, avec des publications de députés présents sur Facebook, il faut dire que la contestation du bien fondé d’un referendum a été immédiate sur les réseaux sociaux, avec des webactiviste réclamant le document de projet rendu introuvable par les autorités maliennes.

De Facebook à Twitter, en passant par les médias internationaux, les opposants au projet de révision de la constitution ont développé les arguments contre plusieurs points de modification de la constitution du 25 février 1992 qui est en vigueur au Mali, avec notamment la création d’un Sénat , dont 30% des membres seront nommés par le président de la république , qui voit son pouvoir croitre dans les nouvelles dispositions.

Beaucoup évoquent également l’article 118 de la constitution qui interdit toute révision constitutionnelle quand l’intégrité du territoire est en cause.
Pour faire entendre leur voix une première marche a été organisée par le « Mouvement TROP CEST TROP ». Cette dernière a été empêché par les forces de l’ordre qui ont exhibé un avis d’interdiction et ont brutalisé les marcheurs, qu’ils ont obligé à se retrancher dans la cour de la bourse du travail, lieu de rassemblement. Le bilan n’est pas à leur honneur, ni à celui de la république qui se dit démocrate :
-plus de liberté individuelle semble-t-il !
– plus de liberté de manifestation.

Les blessés et les dégâts matériels n’ont pas découragé les jeunes qui se sont donnés rendez-vous le samedi 10 juin pour un sit-in au niveau du monument de l’indépendance, dans la capitale malienne.

Une forte présence policière n’ayant pas réussi à décourager les jeunes qui criaient leur opposition au référendum, ils ont encore une fois été frappés et dispersés avec les coups de matraques et du gaz lacrymogène.

Les webactivistes maliens ne sont pas seuls sur le terrain, il y a aussi les partis de l’opposition et les syndicats ainsi que de nombreuses associations.
La forte mobilisation du weekend du 17 et 18 juin a fait reculer le gouvernement qui a reporté le référendum du 9 juillet à une date ultérieure qui n’est pas encore officiellement fixée.
Quelles sont les conséquences de cette crise ? Cette crise est malvenue du fait de l’instabilité actuelle du pays avec la présence de djihadistes dans le nord et peut perturber l’équilibre fragile du pays.

«En 2016, le nord du Mali a ainsi subi plus de 385 attaques, soit une hausse de 92 % par rapport à 2015. Et non seulement la zone septentrionale, en principe «libérée» depuis quatre ans, reste une zone interdite, car périlleuse, mais l’insécurité tend à se rapprocher de la capitale en gangrenant le centre du pays. »
Le référendum prévu le 09 juillet 2017 a été reporté sine die par les autorités maliennes grâce à la mobilisation des citoyens et dans un « soucis d’apaisement » selon IBK.

S’il est vrai qu’il sera extrêmement difficile de mettre fin au tripatouillage des constitutions en Afrique, le recul des autorités maliennes nous rappelle la force de frappe et de mobilisation des réseaux sociaux qui démontrent un nouveau type d’engagement citoyen dans une société de réseaux. Les nouveaux médias semblent constituer l’environnement idéal pour le développement de formes de participation réflexives, individuelles, qui fournissent de nouvelles possibilités de socialisation, de communication, de participation et ouvrent de nouveaux espaces de délibération en dehors des médias de masse traditionnels.

Texte écrit en collaboration avec la bloggeuse malienne Fatoumata Harber