Même si du temps s’est écoulé depuis notre indépendance nationale, la signification historique de celle-ci reste intacte, et à raison. Quelles que soient nos opinions politiques ou religieuses, notre indépendance nationale, qui s’est produite après des années de lutte révolutionnaire, est définitive, libératrice et fait partie intégrante de notre conscience nationale.

Le fait que Robert Mugabe, le premier Premier ministre de la république, ait été violemment évincé par le Zanu Pf, parti toujours au pouvoir, n’enlève rien à l’importance de l’indépendance. Elle ne leur a jamais appartenu, ni à lui ni à son parti. L’indépendance appartiendra toujours au peuple du Zimbabwe dans sa diversité et sa conscience politique progressiste.

Et le peuple a traversé bien des épreuves. De Gukurahundi à l’ajustement structurel économique (ESAP), en passant par la répression de l’opposition politique, le programme populiste de réforme agraire accélérée (FTLRP) et le coup militaire édulcoré, les Zimbabwéens restent un peuple exemplaire sur le continent africain. En particulier en ce qui concerne leur capacité à esquisser sans relâche une voie fondamentale vers la liberté économique et politique, tout en conservant une conscience particulière de l’histoire et de nos luttes contre la répression : de la période du colonialisme jusqu’aux tentatives d’établir un État à parti unique et autres tentatives de réprimer l’opposition menées par le mouvement des travailleurs.

Depuis 39 ans que nous sommes en quelques sortes libérés du colonialisme de peuplement, nous avons presque tout vu. Nos réponses nationales face aux calamités qui nous ont accablé auraient pu mener à des situations bien plus graves, mais ce ne fut pas le cas. Nous n’avons pas déclaré la guerre. Nous n’avons pas demandé l’intervention de libéraux issus d’un Occident bienveillant mais vorace. Nous avons perdu des vies inutilement sous le règne du Zanu Pf et avons cherché les raisons politiques. Nous avons également perdu des moyens de subsistance en raison de la politique néolibérale de cemême parti au pouvoir, le Zanu Pf.

Dans certains cas, on nous a qualifiés de « résilients » à des fins journalistiques opportunes, comparatives et commodes. Ce qui reflète mieux notre réalité, c’est que nous souffrons mais nous persévérons. Pas nécessairement sur une voie révolutionnaire mais en prenant au sérieux les enseignements tirés. Nous ne sommes plus aussi fondamentalement politiques qu’auparavant mais nous cherchons de nouveaux moyens d’améliorer notre existence. La plupart du temps en faisant preuve d’une grande impatience et d’une compréhension moindre de la postérité comme fonction et valeur politiques. Et parfois, nous recherchons malheureusement plus des sauveurs politiques qu’un pragmatisme permettant de relever nos défis contemporains.

Ce dont nous avons probablement besoin, c’est du concept Cabraliste de ‘retour aux sources’ d’une conscience nationale en lien avec notre indépendance. Non pas de manière dogmatique mais davantage pour comprendre ceux qui nous ont précédés, ceux qui ont mené les luttes de libération sous une forme ou une autre pour que notre pays advienne. Et pour comprendre le lien avec les développements contemporains non seulement en Afrique australe mais aussi sur le continent africain et en définitive dans le monde.

Pour cela, nous devons réfléchir à notre situation actuelle de manière plus idéologique, en nous tenant à l’écart de la nuance populiste que nous ont transmise Robert Mugabe et son parti au pouvoir.

Ainsi, nous devrions interroger le rôle de l’État en lien avec sa capacité à assurer le bien-être social de ses citoyens, sans considération de classe sociale, de race ou d’ethnie. Pour cela, il convient d’examiner comment l’État engage le capital (colonial) mondial en vue d’améliorer les conditions de vie de son peuple. Le modèle actuellement suivi par le gouvernement du Zanu Pf est une négation du rôle libérateur anticipé de l’État, essentiellement parce qu’il cherche à asservir l’État au capital (colonial) mondial et au marché libre (colonial) mondial.

De plus, nous devrions nous efforcer d’établir un État qui garanti l’égalité, pas seulement en termes de droits civils mais aussi de droits économiques. Et ces droits économiques ne concernent pas simplement les droits à l’emploi et la culture consumériste individualiste narcissique. Ces droits ont plutôt trait aux droits économiques à l’accès à la santé, à l’eau, au transport, à l’éducation et au soutien général de la protection sociale.

L’éternelle question de la « praxis générationnelle » est plus importante encore. C’est une question que l’on ne peut résoudre dans les « écoles d’idéologie » ou par des déclarations religieuses ou politiques. Nous devons nous assurer que nous transmettons aux jeunes générations le savoir lié aux luttes, non pas en tant que dictat mais pour comprendre notre histoire. A cet égard, nous devons comprendre que le dogmatisme ne fonctionne plus. Les jeunes Zimbabwéens veulent des solutions que non seulement ils comprennent mais aussi qu’ils estiment directement applicables à leurs expériences personnelles et collectives. Transmettre le savoir lié aux luttes n’est donc pas une leçon d’histoire, mais une leçon du passé, du présent et de l’avenir. Une leçon qui permet de s’assurer qu’en dépit de la conformité recherchée par les médias sociaux, nous ne nous perdons pas dans la communauté mondiale qui considère encore beaucoup les Africains comme « autres ».

Trente-neuf ans se sont en effet écoulés depuis l’indépendance nationale. Le temps qui s’est écoulé et les évènements négatifs qui se sont produits n’enlèvent cependant rien à l’importance de la libération nationale. Ni le bon ni le mauvais. Encore une fois, nous souffrons, mais nous persévérons. Consciemment.