En 2016, après avoir assisté à ma première conférence Re:publica dédiée au Web 2:0 à Berlin, j’ai rédigé un article sur la nécessité pour l’Afrique de disposer de ce que j’ai appelé un « espace de réflexion collective » où d’autres acteurs partageant le même point de vue sur le continent africain se réuniraient pour échanger des idées et s’inspirer mutuellement.

Le Forum sur la liberté de l’Internet en Afrique 2017 (FIFAfrica17) qui vient de se tenir à Johannesburg, en Afrique du Sud, et auquel j’ai également assisté, correspondait au type de rassemblement dont je parlais en 2016.

Organisé par la Collaboration on International ICT Policy for East and Southern Africa (CIPESA), en partenariat avec l’Association for Progressive Communication (APC), le forum FIFAfrica17 a connu son temps fort avec la publication de deux rapports majeurs produits par la CIPESA, l’un sur l’état de la liberté sur Internet en 2017 (State of Internet Freedom in Africa 2017) et l’autre sur le coût des coupures d’Internet en Afrique (Cost of Internet Shutdowns in Africa). Ces rapports montrent comment les nouvelles technologies et notamment l’Internet ont pris une place de plus en plus influente dans la politique africaine au fil des ans.

Lors d’une intervention au cours du Forum, Fortune Mgwili-Sibanda, directrice chez Google, notait qu’en dépit du faible taux de pénétration de l’Internet sur le continent, celui-ci était aujourd’hui un élément important pour la politique africaine, de la même manière que la télévision ou la radio l’avaient été à l’ère des coups d’État en Afrique.

Les stations de télévision ou de radio publiques étaient toujours parmi les premières institutions à être fermée par les auteurs de coups d’État en cas de succès, afin de leur permettre d’annoncer leur victoire et de diffuser leur propagande. Comme Mgwili-Sibanda nous l’a fait remarquer, aujourd’hui, les États autoritaires sont prompts à couper l’Internet pour garder le pouvoir et le contrôle. L’ère de l’Internet est arrivée en Afrique et rien de plus normal que le fait que les Africains abordent les nouvelles technologies de manière critique – une finalité pour laquelle le forum FIFAAfrica17 a fourni l’espace nécessaire.

Hormis les enjeux cruciaux relatifs à la sécurité et à l’égalité des sexes en ligne, au coût de l’Internet, à la liberté d’expression, à l’accès à l’information et à la confidentialité en ligne, deux sujets spécifiques se démarquaient véritablement pour moi : les fake news et les coupures d’Internet.

Les fake news, peut-être parce qu’il se trouve que j’ai participé à ce panel de discussions, et les coupures d’Internet peut-être parce que, pour la première fois, je rencontrai des individus qui avaient été directement affectées par les fake news et qu’ils en parlaient de manière passionnée.

Voici quelques réflexions sur ces deux sujets :

Les fake news

Tout d’abord, il faut comprendre que le problème que posent les fake news, et c’est pourquoi il s’agit là d’une question importante, est la centralité de l’accès à l’information dans les sociétés démocratiques. L’information constitue un prérequis à la participation publique des citoyens, et une participation publique significative ne peut être réalisée que si les citoyens disposent d’informations exactes et essentielles. Ce qui n’est possible que par le biais de médias libres et indépendants, qui fournissent des informations exactes et vérifiées, et non des fake news.

Bien sûr que les fake news ont toujours existé, prenant différentes formes et différents visages – Il en est de même aujourd’hui. Il existe des producteurs de fake news, qui se contentent de les utiliser pour susciter des clicks, le motif ici n’étant rien de plus qu’une histoire de monétisation. Et puis il existe des fake news alimentées par des mythes culturels. En Afrique, et sans aucun doute au Malawi, dont je suis originaire, les médias sont férus de sujets comme la sorcellerie, qui relèvent bien des fake news. Vient ensuite la catégorie la plus problématique, les fake news délibérées, qui visent à tromper le public, à nuire à quelqu’un, à conserver le pouvoir ou à y accéder.

Il est probable que le premier type de fake news dont nous venons de parler disparaisse progressivement à mesure que la société prend conscience de cet apsect dérangeant de la technologie. Le second type est inoffensif : les sociétés tirent leur cohérence et leur existence du fait de leurs croyances et mythes culturels. C’est le troisième type de fake news qui devrait nous inquiéter, car les motivations sont politiques, et les conséquences ont un impact plus important sur la société.

Dans certains cas, il n’y a rien que les médias puissent faire pour arrêter la diffusion des fake news, et c’est l’une des raisons pour lesquelles le phénomène des fake news est spécifique à une technologie – l’Internet. Et pourtant, cela met également en avant le rôle essentiel que jouent les journalistes pour s’assurer que le public a accès à des informations exactes et crédibles.

La vérification, notamment des faits, n’a jamais été aussi importante pour le journalisme. C’est également le seul moyen par lequel le journalisme parviendra à préserver sa crédibilité. Comme le dit l’adage dans la profession, mieux vaut être en retard et précis que d’être le premier à donner des informations inexactes ou incorrectes.

Les coupures d’Internet

Comme l’indique le rapport publié à l’occasion du FIFAfrica17, le coût des coupures d’Internet est colossal. Et pourtant, pour un chef politique paranoïaque qui essaie de conserver le contrôle et le pouvoir, rien n’est trop coûteux.

Mais il convient néanmoins de comprendre que les coupures d’Internet impliquent deux acteurs – le gouvernement et les prestataires de services. Les gouvernements souhaitent couper l’Internet pour empêcher les citoyens d’exprimer leur mécontentement et leurs réticences vis-à-vis du gouvernement. Et les prestataires de services doivent obéir aux ordres des gouvernements sous peine de perdre leurs permis d’exploitation. Les prestataires de services ne sont pas des organisation caritatives – leur principal objectif est de réaliser des profits.

La société civile doit donc se battre pour un Internet ouvert et accessible à tous, et contre la collusion entre gouvernements et prestataires de services. Des rassemblements tels que le FIFAfrica17, bien qu’il puisse passer pour une niche réservée aux technophiles, sont donc très importants pour les militants, les groupes de la société civile, les universitaires, etc., car ils leur permettent de réfléchir, de partager leurs expériences et de déterminer la marche à suivre.

Si tout ce qui a pu être fait par le passé a échoué à rétablir la conscience et la solidarité africaines étant donné l’immense diversité des Africains, l’Internet fait figure d’exception. Selon une étude menée par Portland Communication et intitulée « Africa Tweets », les hashtags politiques en Afrique montrent qu’il existe davantage de solidarité entre les Africains en ligne – ou du moins sur Twitter. Par exemple, le hashtag sud-africain #feesmustfall (les frais de scolarité doivent baisser) était plus populaire en Égypte qu’en Afrique du Sud.