Si on s’en tient à l’activité sur les réseaux sociaux en Afrique, un des canaux privilégiés de diffusion d’opinions en Afrique depuis le printemps, on peut affirmer que l’intérêt des citoyens à propos des questions d’ordre politique, social et économique est de plus en plus fort. Cette prise de parole est louable, surtout dans les contextes dictatoriaux et de violations de la liberté d’expression qui sont généralement les nôtres.

Un élément essentiel manque malheureusement à nombre d’avis donnés, de positions défendues et de réclamations exprimées : l’information. « Le cas Kemi Seba » en est une parfaite illustration, Je ne m’attarderai pas ici sur l’homme et la polémique autour. Je me limiterai à l’effervescence engendrée par son dernier coup d’éclat.

Les citoyens ne s’informent pas sur la ou les lois

Lors d’un rassemblement le 19 août à Dakar, Kemi Seba a brûlé un billet de banque en signe de protestation contre le Franc CFA, la principale monnaie en Afrique de l’Ouest et centrale. Ce geste a été applaudi par les sympathisants à la pensée de l’activiste qui s’en est fait de nouveaux par la même occasion.

Son arrestation a été condamnée. Arrêter un homme qui combat pour le bien de l’Afrique et qui pose « un geste aussi fort » a été considéré comme un outrage. De nombreuses personnes, en signe de soutien, ont brûlé des billets de banque et parfois des liasses d’argent, et ont partagé les photos de billets enflammés sur la toile.

Sauf que dans la plupart des pays ce geste est un crime. Au Sénégal notamment, pays où l’acte de Kemi Seba a été posé. En effet, selon l’article 411 du Code pénal sénégalais,

« Quiconque aura volontairement brûlé ou détruit, d’une manière quelconque, des registres, minutes ou actes originaux de l’autorité publique, des titres, billets, lettres de changes, effets de commerce ou de banque, contenant ou opérant obligation, disposition ou décharge; Quiconque aura sciemment détruit, soustrait, recelé, dissimulé ou altéré un document public ou privé de nature à faciliter la recherche des crimes et délits, la découverte des preuves ou le châtiment de leur auteur sera, sans préjudice des peines plus graves prévues par la loi, puni ainsi qu’il suit: Si les pièces détruites sont des actes de l’autorité publique ou des effets de commerce ou de banque, la peine sera d’un emprisonnement de cinq ans à dix ans; S’il s’agit de toute autre pièce, le coupable sera puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 50.000 à 100.000 francs. »

Ceux qui ont reproduit le geste de Kemi Seba sont passibles de peine de prison. Peu de gens semblent réaliser qu’internet n’est pas une zone de non droit. Par ailleurs, revendiquer en toute légalité et avoir gain de cause est la plus belle des victoires face à des dirigeants qui n’hésitent pas à vilipender les lois. Agir comme eux tout en décriant leurs actions est contradictoire.

Les citoyens ne s’informent pas sur la condition réelle de la situation décriée.

« A bas le Franc CFA » ne vaut malheureusement rien sans un plan d’action clair. La majorité des arguments avancés se sont limités à des déclarations de type slogan et des citations de penseurs africains sorties de leur contexte.

Peu sont ceux qui ont pris le temps de s’informer sur la fabrication d’une monnaie et ses conséquences. Peu sont ceux qui ont pris le temps de questionner la capacité physiques et morales de nos banques centrales à imprimer de l’argent. Est-ce vraiment une bonne idée dans nos situations gouvernementales actuelles de mettre des « dispositifs de fabrication d’argent » à la portée de nos gouvernants ? Quelles sont les réelles options qui s’offrent à nous si nous nous débarrassons du FCFA ?

Le manque d’informations dessert les causes plus qu’autre chose.

Décrier des situations c’est bien. Ca permet de mettre au centre des débats des questions d’intérêt commun. Mais le faire de manière anarchique en posant des actes qui vont complètement à l’opposé du discours tenu est dangereux. C’est dangereux pour ceux qui posent ces actes, car ils s’exposent à des condamnations, et c’est dangereux pour la cause défendue car elle perd sa crédibilité.

Ce comportement est l’une des raisons pour lesquelles nous nous heurtons toujours à la même réponse : « Vos réclamations sont impossibles à satisfaire, il n’y a aucun moyen d’y arriver ». Et les citoyens baissent généralement les bras après avoir reçu cette réponse deux ou trois fois. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas pris eux-mêmes le temps de s’informer sur les mesures possiblement applicables.

Nous devons nous informer afin d’apporter de la cohérence à nos revendications. Nous devons nous informer pour ne pas enfreindre la loi non seulement parce que nul n’est sensé l’ignorer, mais aussi parce qu’une fois derrière les barreaux on devient inutile au combat.