L’ancrage des médias sociaux dans notre quotidien a provoqué l’avènement du mème internet, apportant une touche d’humour aux nombreux mots qui envahissent l’Internet mondial.

Mais c’est vraiment en 2014, quand l’image de la « Jeune noire déconcertée » est devenue virale, que le mème internet nous est apparu comme un phénomène de notre temps. Cette même année voyant la parution de cette photo prendre une envergure mondiale au phénomène, la première image de Kermit la grenouille disant « Mais ce ne sont pas mes affaires », qui devint également un phénomène viral, a été postée.

En Afrique du Sud, on a pu voir la tweeteuse Gugulethu Mhlungu divertir ses followers grâce à son utilisation opportune de mèmes qu’elle utilise pour ajouter une touche d’humour à sa timeline déjà fascinante. Où que vous soyez, quoi que vous fassiez, si vous êtes connecté, vous êtes tombé et continuerez à tomber sur un ou deux mèmes qui vous donneront le fou rire, parfois aux moments les plus inappropriés.

Mais on a également pu voir des mèmes chargés de stéréotypes racistes, nourris de préjugés, discriminatoires et hétéro-patriarcaux, dont un exemple est constitué par ces horribles mèmes du type « apprenez à vos filles… » et « une vraie femme/une femme forte… ». Mais il ne s’agit bien entendu pas là d’un problème de culture du mème, mais davantage d’un problème de la manière dont les moyens de communication à disposition des gens peuvent également être utilisés comme une autre façon d’aborder des problèmes sociétaux.

Et ceux-ci nous laissent à juste titre passablement agacés car nous reconnaissons qu’ils sont extrêmement problématiques, peu importe la quantité d’humour qui y est injectée. Il est parfaitement reconnu que le privilège et le pouvoir débordent sur le cyberspace, et souvent parce que la cible n’est pas directement devant vous ou à portée de main, les individus sont plus durs en ligne qu’ils ne le sont dans la réalité.

Si cette reconnaissance est étendue à ceux qui reçoivent le message que véhicule le mème, très peu de considération est accordée aux personnes qui figurant dans les images utilisées.

Qui peut oublier le mème devenu viral de la petite Mariah, âgée de deux ans, qui souffre d’un syndrome ayant affecté ses fonctions et son développement moteurs ? J’imagine que la plupart des personnes qui l’ont posté, l’ont partagé et en ont ri n’avaient aucune idée de l’origine de la photo et se sentaient donc absouts de l’utiliser comme ils l’ont fait.

En Afrique du Sud, un mème a été utilisé relativement souvent, représentant une femme que des policiers trainent hors de sa maison. L’image utilisée est tirée d’une série de photos prises par différentes agences de presse, au moment où Maria Tekana, dont la maison avait été bâtie par son défunt fils et dans laquelle elle-même et sa famille vivaient depuis les années 80, a été démolie, trois maisons ayant été visiblement démolies sur l’ordre de la municipalité d’eThekwini.

Sur les photos, on la voit s’accrocher à un jeune homme en larmes et qui se tient à la porte, puis qui est emmenée de force par la police, pour en définitive être mise à terre. Cette photo qui a été prise au cours de ce qui a probablement constitué un événement hautement traumatisant pour la famille est ce qui est utilisé pour ajouter de l’humour à des publications.

Plus récemment, on a pu voir la photographie de veuves dont les maris avaient été tués à Marikana, postée à côté d’un tweet qui disait « Zuma a remboursé, pouvez-vous nous payer @NkanyeziKubheka ». Une fois de plus, un moment traumatisant a été utilisé pour faire de l’humour par des personnes qui ne feraient probablement pas de blagues sur un tel événement s’ils connaissaient l’origine de la photo.

En 2015, le nombre d’utilisateurs Facebook dans le pays a été estimé à 11,8 millions, Twitter comptant 6,6 millions d’utilisateurs, des chiffres qui continuent à progresser. Cela veut dire qu’aujourd’hui, plus que jamais, nous vivons à une époque au cours de laquelle les personnes figurant sur ces photos ou les membres de leur famille sont susceptibles de les voir – ce qui peut encore traumatiser davantage certains d’entre eux.

Tout cela est tellement inutile. Une quantité phénoménale de ressources disponibles peut être utilisée pour trouver la source des photos, TinEye et Google Image comptant au nombre des plus populaires, et il ne faut qu’une minute voire moins pour vérifier. Il est d’autant plus nécessaire de le faire quand des enfants ou des personnes visiblement en situation de détresse figurent sur la photographie qui sera utilisée.

S’il peut sembler que cela représente beaucoup de « travail » pour ce qui n’est qu’une « blague » inoffensive, les personnes figurant dans les mèmes sont souvent de vraies personnes, dont la dignité ne doit être sacrifiée au prix de quelques rires et dont le traumatisme ne doit pas être réduit à n’être qu’un simple contenu internet à visée humoristique.