« Xaqqa haddii afka la qabto feedhaha ayuu ka dilaacaa » Proverbe somalien que l’on pourrait traduire par « Si l’on étouffe la vérité, elle trouve toujours un canal pour éclater au grand jour ».
A chaque fois que l’on cherche à bloquer le désir de vie d’un peuple, à émousser toute aptitude d’une société, l’inventivité et l’imagination, gorgées d’une surprenante vigueur, surgissent et percent de part et d’autre de ce mur, créant, indéniablement, un terreau d’expression de liberté hors du commun.
Ainsi, pour conserver à l’existence humaine toute sa dignité et toute sa promesse, depuis que le monde est monde, on ne le dira jamais assez, tout autoritarisme et totalitarisme ont été en butte à une résistance multiforme et sans répit pour s’affranchir.
Par la danse, telle la Capoeira, cette lutte dissimulée en danse, jouée par les esclaves africains déportés au Brésil, ou encore, Le Mayola, dansé en Île de la Réunion, décrivant des scènes de tristesse, de souffrance et classé, aujourd’hui par l’UNESCO au Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité.
Par la chanson avec le Gospel utilisé par Martin Luther King pour défendre les droits des noirs aux Etats-Unis, descendant musical du « Worksongs » chanté par les esclaves dans les champs de coton. Mais aussi, et surtout, le chant choral politique dont le socle fut la participation à la lutte des ouvriers, en Europe, et dont la création musicale a pour figure de prou l’Autrichien Hanns Eisler.
Par l’écriture et notamment la littérature engagée avec ses multiples thèmes mobilisateurs : les questions sociales avec Montesquieu, Voltaire et Hugo ; les valeurs humaines telle que la négritude avec Césaire et Senghor ; ou encore plus proche de chez nous avec la poésie et notamment avec Hadrawi et Gaariyeh…
A chaque ère, pourrait-on conclure, son mode de résistance. Le sacrement privilégié de notre époque sont les réseaux sociaux, en tête de gondole, Facebook qui n’en finit plus de culbuter, avec le développement du numérique, les quilles poussiéreuses de la télévision et de la radio, que l’on pensait, il n y a pas si longtemps insubstituable.
Preuve autant d’une rupture que d’un changement social et psychique : Nous y prenons goût. L’usage en devient frénétique. Presque obsidional. Il en découle, par conséquent, des nouvelles mœurs sociales, en perpétuel mouvement, souvent mouvant, parfois insaisissable et peu irrésistible. En somme une nouvelle façon d’agir. Comment s’étonner dès lors, qu’un grain de folie de vedettariat se soit, en effet, emparé de nos concitoyens : De la nouvelle cuvée juvénile qui on en fait sienne, aux plus âgés qui s’adaptent bon gré mal gré, en passant par les 40-50ans qui s’y adonnent avec non moins sans quelques difficultés.
Quel Djiboutien, aujourd’hui, n’a pas son propre compte ?
En quelques clics avec son Smartphone et dans l’instantané de l’événement, l’on est à la fois le producteur, le cameraman et l’acteur. Tout cela s’explique, sans doute, par la manière dont fonctionnent ces vidéos. De la préenregistrée à celle en live, elles tournent tout le temps, et peuvent être vues à tout moment tel un théâtre vermoulu ne baissant jamais le rideau.
N’importe qui peut à peu près dire n’importe quoi. Surtout, cette jeunesse décomplexée, en cale sèche, sans perspective, menant une vie étriquée. Elle monte au turbin et exprime sa détresse la plus originelle et la plus originale. L’on y déblatère de tout sans honte, sans gêne, sans fard. Allant jusqu’à clamer haut et fort ses propres revendications, sans peur, et même directement à la plus haute personnalité au point de le rabaisser au ras des pâquerettes, tirant, à tout va, sur la corde de la contestation. L’on corse la polémique. L’on atomise et s’arsouille sans circonlocution tout aussi facilement que l’on porte au pinacle. Ça en devient presque un exutoire où l’on se soulage allègrement. Dans ces vidéos, un mélange subtil et bien dosé des messages côtoient les effluves les plus nauséabonds. Une véritable thérapie de l’envie viscérale d’exister pour certains.
Ce n’est d’ailleurs guère surprenant que le gouvernement, prit de court, cherche à éteindre immédiatement ce petit foyer pour éviter le grand incendie. Il ne dispose plus des moyens de retarder cette montée en visibilité d’autant qu’on aurait raison de croire que le phénomène n’y est encore qu’à ses débuts. Mais, au fond, la situation étant ce qu’elle est, celle-ci n’est-elle pas inéluctable ?
Il faut donc, pour conclure, faire symbole de cette présence sur les réseaux sociaux de telle manière qu’elle rende possible l’éveil des consciences. Que cette liberté conquise, à travers Facebook, soit âprement défendue vaille que vaille et permettent l’expression quelque peu libre des opinions.
Kadar Abdi Ibrahim