13 jours avant la tenue des sénatoriales au Cameroun, le monde des médias est en pleine effervescence. Le Conseil national de la Communication (CNC) a publié des directives concernant la couverture médiatique des sénatoriales qui se tiendront le 25 mars prochain. Selon l’Agence de presse africaine, « Le Conseil national de la communication (CNC) du Cameroun a décidé de la suspension des contenus à caractère politique dans l’audiovisuel public et privé, pendant toute la période de campagne électorale des élections sénatoriales prévues le 25 mars prochain. »

La toile s’est enflammée, et le Syndicat national des journalistes (SNJC) a publié un communiqué contraire aux prescriptions de l’entité régulatrice qu’est le CNC :

Non au CNC, oui à la liberté et la démocratie

Le Syndicat national des journalistes du Cameroun (SNJC) a appris que le Conseil national de la Communication (CNC) a publié des directives relative à la couverture de la campagne électorale en vue des sénatoriales du 25 mars 2018. Le point culminant de cette note est l’interdiction de toutes les émissions à caractère politique sur l’ensemble des médias.

En rappelant que le CNC est un organe de censure mis sur pied par le gouvernement pour servir un régime liberticide et supprimer toutes les opinions contraires, le SNJC demande aux médias et aux journalistes de dénoncer et d’ignorer les directives du CNC qui n’a reçu aucun mandat de la corporation pour réglementer son fonctionnement.

Le SNJC affirme que les directives en cause du CNC, sont nulles et de nul effet. En effet, le CNC ne connait pas combien coûte une caméra de télévision, un micro de radio, et ne saurait par conséquent se positionner en donneur d’ordre.

Le SNJC rappelle que le CNC n’est pas une salle de rédaction et ne saurait dicter la conduite à tenir aux professionnels ainsi qu’aux promoteurs des médias privés qui tirent le diable par la queue pendant que les médias de service public sont les seuls bénéficiaires de la redevance audiovisuelle imposée à tous les contribuables camerounais.

Le SNJC demande au gouvernement camerounais de trouver une meilleure occupation à ses défenseurs, membres du CNC. Le SNJC met en garde tout média, tout journaliste, qui se soumettrait aux injonctions de l’organe de censure qu’est le CNC.

Les membres du SNJC organiseront et participeront aux débats politiques en cette période électorale, pour que vivent la liberté d’expression et la démocratie au Cameroun.

Fait à Douala, le 11 mars 2018

(é) Denis Nkwebo

Président du SNJC

Que prescrit la loi ?

Comme l’a rappelé le Président du CNC Peter Essoka avant le lancement de la campagne électorale en vue des élections sénatoriales le 10 mars dernier, des textes régulant la couverture médiatique des périodes de campagne électorale existent. C’est le cas du Décret n° 92/030 du 13 février 1992 fixant les modalités d’accès des partis politiques aux médias audiovisuels du service public de la communication

CHAPITRE II : DE LA PROPAGANDE ÉLECTORALE

Article 9 :

(1) Les émissions d’expression directe des partis politiques représentés à l’Assemblée Nationale sont suspendues pendant la durée de la campagne précédant une élection ou un référendum.

(2) Les émissions à caractère politique sont suspendues pendant la durée de la campagne électorale.

(3) Est également suspendue pendant cette période, la présence des candidats dans toutes émissions autres que celles prévues dans le cadre de la campagne électorale et du traitement normal de l’information.

(4) Les collaborateurs du service public de la communication audiovisuelle, candidats à une- élection doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, s’abstenir de paraître à l’écran, de s’exprimer sur les ondes, ou de figurer au générique d’une émission pendant la durée de la campagne électorale et jusqu’à la fin du scrutin.

Les textes sont clairs, le CNC a le droit de suspendre les émissions à caractère politique pendant la durée de toute campagne électorale au Cameroun. Sauf qu’il y a un léger problème. Dans son le document publié par le CNC, l’interdiction s’applique également aux médias privés, pourtant l’intitulé du décret est clair : Décret n° 92/030 du 13 février 1992 fixant les modalités d’accès des partis politiques aux médias audiovisuels du service public de la communication. Erreur ? Abus de pouvoir ? Musèlement de la presse ?

La situation prend un tournant intéressant lorsqu’on se penche un instant sur le Décret n° 91/287 du 21 juin 1991 portant organisation et fonctionnement du Conseil national de la communication :

CHAPITRE II : DES ATTRIBUTIONS

(2) Le Conseil veille par ses recommandations au respect et à l’évolution harmonieuse :

– des lois et règlements relatifs à la communication sociale ; 

– de la déontologie de la communication sociale ;

– des principes d’égalité d’accès aux médias, notamment en période électorale ;

– de l’indépendance du service public de la communication à travers les projets de textes législatifs et réglementaires ;

– de la transparence, du pluralisme et de l’équilibre des programmes dans les entreprises de communication ;

– de la promotion des langues et cultures nationales dans tous les médias ;

– de la protection de la jeunesse et de l’enfance dans les médias.

Notons ici que le fait d’interdire tout accès à tout candidat et à toute sa suite aux médias peut être considéré comme une égalité : personne n’a droit à rien.

Légal est-il synonyme de moral ?

Deux points majeurs sont à souligner dans ce cas précis : le droit d’accès à l’information et le droit à la pluralité de l’information. En bannissant toute émission à caractère politique en pleine période électorale conduit à une tenue opaque du suffrage (indirect dans le cas des sénatoriales au Cameroun).

Les périodes de campagne sont celles où les candidats informent les citoyens en profondeur de ce qu’ils proposent. C’est la période des promesses électorales et même de discussions directes entre les candidats et les citoyens. Qu’arrive-t-il si personne n’est informé des propositions, si on ne sait rien de ce qui se passe ? Comment se forge-t-on une opinion politique ? Comment, en tant que citoyen, peut-on être pour ou contre quoi que ce soit ?

Surtout que selon le  Décret n° 92/030 du 13 février 1992 fixant les modalités d’accès des partis politiques aux médias audiovisuels du service public de la communication

Article 3 :

(1) Les médias audiovisuels du service public de la communication sont tenus d’assurer dans leurs programmes une représentation honnête, équilibrée et complète de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion politiques.

« L’expression pluraliste des courants de pensée et de l’opinion politique. » Le droit à la pluralité de l’information, la raison pour laquelle l’univers médiatique a été ouvert aux acteurs privés. S’il est question pour ces acteurs de permettre aux citoyens d’avoir accès à une information autre que celle contrôlée par les pouvoirs publics, où est l’avancée si ces médias subissent des interdictions assimilables à des actes de violation des libertés de la presse, d’expression et d’information ?

Journaliste et fervent défenseur de l’accès à l’information au Cameroun, Paul Joel Kamtchanga bien voulu partager son avis sur la situation :

« Les textes donnent malheureusement ce pouvoir au CNC. Au-delà de l’aspect juridique de la chose, il convient de rappeler que cette loi appliquée va à l’encontre de plusieurs dispositions dont les plus importantes sont liées à la liberté des médias, le droit du public à l’information et la liberté d’expression. Quoiqu’il en soit, je ne pense pas que les enjeux des élections sénatoriales imposent ces mesures par le CNC. Le CNC et les pouvoirs qui lui ont donné naissance devraient plutôt penser à créer un environnement défavorable aux dérives qu’ils prétendent vouloir éviter. »

L’élection présidentielle est annoncée pour octobre prochain. Le suffrage sera direct cette fois. Doit-on s’attendre au même scénario ? Oui, Selon Joel Kamtchang : « Ne vous méprenez pas, à l’allure où vont les choses, la situation sera pareille en ce qui concerne la couverture médiatique de l’élection présidentielle. Surtout que les enjeux sont encore plus importants. »