La confirmation de la mort d’Evgueni Prigojine par les autorités russes à la suite du crash de son avion le 23 août dernier constitue un tournant majeur dans la guerre « géostratégique » à laquelle se livrent certaines puissances – Etats-Unis, France et Russie – au Sahel.
Même si le désengagement des combattants du groupe paramilitaire russe Wagner n’a pour le moment été constaté dans aucun pays où ils opèrent, la disparition au mobile douteux de Prigojine avec certains de ses bras droits risque de fissurer le groupe Wagner dont le patron annonçait dans sa dernière sortie l’expansion sur le continent africain.
Présent au Mali depuis la fin de l’année 2021, le groupe Wagner est toujours considéré par les putschistes de Bamako comme « des instructeurs russes » alors de nombreux témoignages visuels montrent leur présence sur le théâtre des opérations aux côtés des forces régulières. Le groupe Wagner est arrivé au Mali à la suite de la brouille partenariale entre Bamako et certains de ses anciens partenaires occidentaux notamment la France.
Après la dénonciation des accords de défense par les autorités maliennes occasionnant le départ forcé des troupes françaises de l’opération Barkhane, Wagner a étendu son déploiement sur le territoire malien loin des avions et des drones de surveillance. Ce groupe paramilitaire russe présent dans plusieurs pays africains et au moyen orient est considéré par les Etats-Unis comme « une organisation criminelle internationale. »
Au cours de cette décennie, Evgueni Prigojine a contribué inexorablement à renforcer l’influence de la Russie sur le continent africain avec une dénonciation constante d’une partie de la politique étrangère française – je n’évoque jamais de sentiment anti-français, car selon moi cela n’existe pas. Sa mort va inéluctablement – à court ou à long terme – redistribuer les cartes au Sahel.
Si jusqu’ici sa mutinerie avortée du 26 juin expliquerait le début de ses ennuis avec le Kremlin, dans les groupes Telegram pro Wagner, il semble que l’émergence d’un nouveau ou d’une nouvelle remplaçante à la carrure de Prigogine ne sera pas si facile. D’un côté, le Kremlin éviterait à tout prix de subir les mêmes humiliations. Et officiellement, Vladimir Poutine ne pourra pas non plus se livrer à visage découvert – certainement – aux violations des droits humains attribuées à la milice Wagner. D’autant plus que Moscou a longtemps nié la présence des combattants de Wagner particulièrement au Mali.
Les militaires putschistes qui comptent sur ce groupe privé pour s’éterniser au pouvoir risquent de se retrouver privés d’alliés. Le réchauffement diplomatique entre Paris et Bangui de ces derniers mois illustre parfaitement l’attitude changeante de Faustin-Archange Touadéra.
Depuis la chute de la Libye, les pays sahéliens se concentrent sur la lutte terroriste empêchant l’orientation des ressources essentielles au développement de ces pays. Aujourd’hui, le Burkina et le Mali subissent une intensification des attaques terroristes sur leur sol et ont considérablement perdu le contrôle d’une grande partie de leur territoire. Cette perte a occasionné le déplacement massif – interne et externe – des populations et la fermeture de nombreuses écoles. “L’abandon en plein vol de la France”, comme l’avait décrit, le Premier ministre malien, Choguel Maïga à la tribune des Nations Unies en 2021, ne favorisera pas rapidement le paraphe d’un nouvel accord de défense entre l’ex-puissance coloniale et le pays de Modibo Keita.
Depuis la mi-août, les groupes terroristes imposent un blocus à Tombouctou. Ce blocus empêche quasiment le ravitaillement de la ville en denrées de première nécessité. Et le récent carnage sur « le bateau Tombouctou » démontre la volatilité de la situation sécuritaire dans la cité de 333 saints. La junte malienne s’est toujours résolue à reconquérir le territoire malien sous contrôle des groupes terroristes et même des indépendantistes de l’AJAWAD. A quelques mois de la tenue du scrutin censé mettre fin à la transition, l’accord d’Alger ayant permis de taire les armes en 2015 semble voler en éclats après la reprise des hostilités entre Bamako et la coordination des mouvements de l’AJAWAD.
Ce qui reste clair, les régimes putschistes du Sahel ont montré une inefficacité criante à contrer la progression des groupes terroristes. Leur entêtement populiste a d’ailleurs facilité la restructuration de ces groupes armés dont les populations subissent les conséquences. Par exemple au Burkina Faso, l’argument populaire de la junte consistant à recruter des Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP) n’a pas permis de stopper la multiplication des attaques terroristes à l’encontre des forces armées et des civils. Avec le renforcement de la coopération entre le Kremlin, Bamako et Ouagadougou, ces deux régimes putschistes misent sur ce partenariat réchauffé avec la Russie pour mieux s’équiper et combattre le terrorisme au Sahel. Le dernier veto de Moscou au Conseil de Sécurité des Nations Unies contre la prolongation éventuelle des sanctions à l’encontre de Bamako est révélateur.
Au Niger, les militaires du Conseil National pour la Sauvegarde de la patrie (CNSP) qui ont annoncé le renversement du président Mohamed Bazoum le 26 juillet utilisent la même rhétorique que les locataires du Kossyam et Koulouba. Ils exigent le départ sur le sol nigérien des troupes françaises et de l’autre, un affrontement d’intérêts stratégiques – de la France et des Etats-Unis – semble compliqué pour l’instant la décision de la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a passé à une offensive militaire pour réinstaller dans ses fonctions “le president democratiquement elu”.
Pendant ce temps, les groupes armés terroristes ne sentant aucune menace au-dessus de leur tête s’affrontent et se structurent. Depuis le putsch au Niger – non encore consommé avec le refus du Président Bazoum de démissionner – plus d’une trentaine de militaires et des civils ont été tués dans des attaques terroristes presumés. Au Mali, au Burkina et maintenant au Niger, les militaires réfléchissent plus à comment conserver le pouvoir que de contrer les groupes terroristes.
Dans ces trois pays, toutes les voix dissonantes sont réduites au silence. Les rares citoyens qui tentent de rétablir les faits pour contribuer à l’assainissement du débat public sont subitement soient qualifiés « d’agents étrangers », subissent le harcèlement sur les réseaux sociaux et même de menaces de morts de la part des partisans du pouvoir qui ne sont jamais inquiétés. Au Sahel, pour masquer l’échec sur le plan sécuritaire, la désinformation sert de passerelle. La désinformation et les opérations d’astroturfing sont devenues des armes de dissimulation des imperfections et des échecs de nouveaux dirigeants. Désormais, la version officielle est sacrée. Elle ne doit souffrir d’aucune contestation pour asseoir la domination informationnelle et orienter les biais “souverainistes”. Au lieu de profiter de la force de proposition et des positions des sociétés civiles, les gouvernants cherchent à les contrôler ou à les bâillonner. La prise de position algorithmique – sur les réseaux sociaux – contribue à cristalliser davantage les positions.
La situation sécuritaire restera un enjeu majeur pour les régimes post transition. La restructuration des armées et la formation des unités d’élites censées lutter contre les groupes terroristes poseront d’énormes problèmes aux régimes civils. Car ces derniers, en tentant de s’éterniser au pouvoir, ont favorisé l’intrusion de ces unités d’élites de l’armée sur la scène politique. Alors, sans une gouvernance vertueuse des civils et l’abandon de leur funeste projet de tripatouillage des lois fondamentales, il sera chimérique d’éviter l’intrusion des militaires sur l’espace public.
Pour stopper les groupes terroristes, les différents régimes – civils et militaires maintenant – ont toujours usé sur la force avec un déni profond des problèmes sociaux. Dans ces zones quasiment abandonnées par les États centraux, les militaires censés protéger les citoyens sont souvent accusés des mêmes travers que les groupes armés et les terroristes. D’ailleurs, ces groupes terroristes profitent de la déchirure sociale à forte propension d’ethno-stratégie pour renforcer leur ancrage.
La lutte contre le terrorisme doit allier force et mesures sociales. Les mesures sociales doivent être une priorité et au cœur des stratégies des dirigeants africains. La lutte contre le terrorisme ne doit pas être traitée avec des humeurs mais avec responsabilité, tact et inclusion. Hélas ! Le Niger qui tentait de sortir du lot vient de revenir pleinement dedans.
En définitive, souvent, peu évoquée mais un effondrement sécuritaire au Mali constituerait une réelle menace pour la Guinée qui partage avec Bamako plus de 800 kilomètres de frontières mais aussi pour des pays du Golfe de Guinée qui enregistrent souvent des incursions répétées des terroristes dans leurs territoires.
Par Sally Bilaly SOW, journaliste-blogueur guinéen
Photo: AMISON/Iwaria