La partie nord de la province mozambicaine de Cabo Delgado est depuis octobre 2017 le théâtre d’une insurrection des rebelles islamistes présumés d’Ansar al-Sunna, qui a entraîné la mort de plus de 2 000 personnes. Selon les Nations unies (ONU), plus de 700 000 personnes ont également été contraintes de fuir leur foyer.

Les militants ont pris le contrôle du territoire de Cabo Delgado, et notamment d’un port stratégique dans la ville de Mocimboa da Praia, et brûlé des dizaines de villages dans cette province connue pour l’abondance de ses ressources. Le port abrite les projets de gaz naturel liquéfié exploités par la société française Total et la société américaine ExxonMobil.

Meurtres récents

La semaine dernière, le gouvernement mozambicain a affirmé que des dizaines de civils avaient été tués lors de nouvelles attaques contre la ville de Palma, dans le Nord du pays, dont sept personnes dont le convoi de véhicules est tombé dans une embuscade alors qu’elles tentaient de fuir.

Les autorités mozambicaines ont également affirmé que des centaines de personnes, des nationaux et des étrangers, avaient été secourues à Palma, qui est une plate-forme logistique pour les projets gaziers internationaux dans la province de Cabo Delgado. Total, le géant français de l’énergie, a déclaré avoir été contraint de suspendre les activités d’un énorme projet gazier situé à proximité.

La société venait tout juste d’annoncer qu’elle allait reprendre les travaux sur ce projet de 20 milliards de dollars américains, interrompus en janvier pour des raisons de sécurité.

Alors que le conflit se poursuit, différents récits ont été avancés quant à la cause réelle du conflit, qui, à première vue, a été qualifié d’attaque terroriste liée à des militants islamiques. Mais selon certains, si l’on se pose du point de vue de l’économie politique, le conflit trouve ses racines dans les réclamations socio-économiques de la population locale, mécontente de l’exploitation des ressources en rubis et en gaz de la province, dont elle ne profite guère.

Lien avec le Frelimo

Certains affirment que les élites dirigeantes mozambicaines du Frelimo sont complices en raison de leur cupidité et que cela explique pourquoi, au lieu de demander le soutien de blocs régionaux comme la SADC et l’UA, elles ont opté pour des sociétés militaires privées de Russie et d’Afrique du Sud.

Les autorités sont accusées de masquer la réalité et, plutôt que de s’efforcer d’établir un lien avec les attaques terroristes islamistes tout en fuyant la réalité, elles tentent de protéger une classe d’élites cupides qui refusent de partager les richesses minières et gazières avec la population locale.

Il est donc essentiel de comprendre l’économie politique du conflit au Cabo Delgado. Il me semble que les problèmes vont bien au-delà de ce que l’on veut nous montrer et que le narratif du « terrorisme » n’est qu’une étiquette créée pour couvrir les véritables réclamations sur le terrain, à savoir la marginalisation, la pauvreté et les inégalités croissantes qui découlent de l’absence de partage des richesses par les élites au pouvoir et les compagnies minières et gazières.

Alors que des appels à l’intervention de la Communauté de développement de l’Afrique australe sont lancés, le Mozambique reste suspicieusement silencieux, faisant appel à des sociétés de sécurité privées, ce qui renforce les craintes que le Frelimo cherche à éviter l’implication des organisations régionales et internationales qui sont suffisamment importantes pour publier des rapports révélant les causes profondes de cette insurrection.

Inégalités croissantes

Ironiquement, le Cabo Delgado est considéré comme l’une des provinces les plus pauvres du Mozambique, avec des taux élevés d’analphabétisme et de chômage, une pauvreté et une inégalité croissantes, en dépit de l’énorme gisement de rubis et de gaz découvert en 2009. Les habitants avaient espéré que ces découvertes allaient changer leur mode de vie, qu’elles allaient créer des emplois et améliorer leurs conditions de vie, mais cet espoir est resté une chimère.

Selon les rapports, une petite élite du Frelimo, qui gouverne le Mozambique depuis l’indépendance en 1975, aurait tiré profit de ces avantages.

Au cours de la crise, l’armée mozambicaine, mal armée, a reçu l’aide de mercenaires russes et sud-africains, mais la tâche est devenue colossale car l’insurrection semble s’étendre.

Le gouvernement américain a annoncé l’envoi de sa force des Marines pendant deux mois pour former les soldats localement, etpour fournir « du matériel médical et de communication ».

Préoccupations sécuritaires et humanitaires pour la SADC

En dernière analyse, il est tout à fait clair que le conflit qui sévit dans cette province septentrionale du Mozambique présente un risque sécuritaire et humanitaire pour l’Afrique australe. Imaginer que la crise dure depuis près de trois ans et que le Mozambique a choisi de minimiser l’impact du conflit a tout l’air d’une arnaque et donne lieu à des théories conspirationnistes selon lesquelles l’élite dirigeante est fortement compromise dans toute cette triste affaire.

L’arrivée des Marines américains montre que l’impact sur les intérêts en jeu est beaucoup plus important qu’il n’y paraît : s’agit-il d’aider à mettre fin au « terrorisme » ou de protéger les gisements de gaz offshore de Rovunna, sur lesquels la société pétrolière et gazière américaine Exxon-Mobil a d’importantes concessions ?

Le gouvernement mozambicain semble déterminé à protéger les intérêts de ces entreprises, ayant signé un protocole d’accord de sécurité avec les autorités mozambicaines pour la protection du site de GNL et des installations de Total.  La collusion entre l’État et le capital privé soulève un autre point d’interrogation et révèle l’existence d’une autorité corrompue dans la plupart des pays africains, aux dépens des citoyens.

Alors que des appels ont été lancés en faveur d’une intervention de la SADC, il incombe toujours aux autorités mozambicaines et à ces entreprises étrangères de prendre en considération la population locale, de créer des emplois, de réduire la marginalisation et de partager les bénéfices ; peut-être le conflit prendra-t-il alors fin.

Mais, le conflit se poursuivra tant que les compagnies gazières étrangères et les élites dirigeantes continueront à mettre en avant ce mythe du terrorisme islamique. Les vrais terroristes sont les élites dirigeantes et les capitalistes occidentaux privés qui sont en train d’accumuler sauvagement les ressources naturelles du Mozambique.

Un combat qu’il est urgent de mener est celui contre le pillage des ressources naturelles de l’Afrique : un combat contre la marginalisation, un combat contre le profit et un combat contre l’inégalité. Les habitants doivent pouvoir tirer profit de ces ressources naturelles !