Au début du mois de février 2021, le quotidien sud-africain Maverick Citizen d’Afrique publiait un rapport explosif, Cartel Power Dynamics, qui se penchait plus sérieusement sur les maillages du pillage dont le Zimbabwe fait l’objet et les opérations financières transfrontalières illicites des cartels dont les effets sur l’économie du pays sont dévastateurs.

Comme Tom Burgis l’a fait remarquer dans The Looting Machine, ouvrage publié en 2015, « Les richesses naturelles dont l’Afrique recèle ne seront pas son salut, mais sa malédiction », et selon ce nouveau rapport, environ trois milliards de dollars par an de minerais tels que l’or et les diamants font l’objet d’une contrebande pour les sortir du pays, aux dépens de l’économie nationale. En dépit de l’abondance de ses ressources, le Zimbabwe reste pauvre – un phénomène qualifié par Burgis (2015) de « malédiction des ressources » et conséquence d’un pillage systématique.  À leur tour, Macartan Humphreys, Jeffrey Sachs et Joseph Stiglitz de l’Université de Columbia ont écrit en 2007 que « malgré les perspectives d’enrichissement et d’opportunités qui accompagnent la découverte et l’extraction du pétrole et d’autres ressources naturelles, ces richesses constituent trop souvent un frein à un développement équilibré et durable plutôt que de le favoriser ». Le Zimbabwe illustre parfaitement ce casse-tête.

Selon le Daily Maverick, l’objectif était de comprendre l’étendue et l’impact des cartels et de la mainmise exercée par l’État sur l’économie politique zimbabwéenne, en révélant les facteurs qui avaient permis à ces cartels de prospérer. Le rapport se penche sur les structures de pouvoir des cartels au Zimbabwe et analyse leur impact sur l’économie, la fourniture de services et les perspectives de démocratisation à long terme du pays.

Dans ses conclusions, l’étude révèle l’existence de trois types de cartels au Zimbabwe. Le premier est constitué par les relations collusoires qui existent entre les entreprises du secteur privé, le deuxième par l’abus de pouvoir de la part de titulaires de charges publiques à des fins d’enrichissement personnel, et le troisième et principal type de cartel est constitué par les relations collusoires entre fonctionnaires et secteur privé.

Selon ce même rapport, ces cartels prospèrent au Zimbabwe en raison d’une combinaison complexe de facteurs politiques, économiques et sociaux qui donnent naissance à un environnement propice à une corruption reposant sur les cartels. À cet égard, on s’arrêtera notamment sur le népotisme, la militarisation de l’État, l’instabilité des conditions macroéconomiques, les défaillances relatives aux droits de propriété, l’absence d’État de droit et de pouvoir citoyen pour s’opposer à la corruption.

Dans l’ensemble, l’étude montre que les cartels sont profondément ancrés dans de nombreux aspects de la vie zimbabwéenne et que, pour que le Zimbabwe accède à la stabilité économique, ceux-ci doivent être combattus avec détermination.

Le dévoilement au grand jour du rôle du président Emmerson Mnangagwa comme chef de cartel est intéressant. Son népotisme et la protection qu’il accorde aux cartels leur permettent de poursuivre leurs opérations dans le pays. Le nom de Kudakwashe Tagwirei, homme d’affaires et conseiller du président Mnangagwa, souvent considéré comme l’un des principaux bénéficiaires de la ZANU-PF a également été cité. Il est lié aux cartels du carburant, de l’agriculture et dernièrement de l’exploitation minière et est l’un des principaux chefs de cartel et au centre de la captation de l’État. Selon le rapport : « Tagwirei, qui entre dans la catégorie des hommes d’argent établie par ce document, a habilement géré la situation, en finançant la campagne électorale de 2018 de la ZANU-PF et en offrant à Mnangagwa et Chiwenga, à leurs épouses et à plusieurs hauts fonctionnaires du gouvernement et de la ZANU-PF des véhicules importés en franchise de droits dans le cadre du programme de soutien à l’agriculture Command Agriculture (CAP). Récemment, le président Mnangagwa a affirmé, en parlant de Tagwirei, qu’il était son disciple favori, et le vice-président Chiwenga aurait quitté rageusement une réunion du bureau politique de la ZANU-PF quand des jeunes ont accusé Tagwirei de corruption ».

Quoi qu’il en soit, Emmerson Mnangagwa est un partenaire commercial de Tagwirei, et Mnangagwa lui-même a affirmé que Tagwirei était un membre de sa famille – « mon neveu » avait-il précisé.

Ainsi, Tagwirei abuse de sa relation corrompue avec Mnangagwa pour intimider les ministères et les entreprises publiques afin de leur faire détourner illégalement l’argent de l’État vers ses propres poches.

Avec la législation actuelle qui garantit l’accès à l’information, des sections crédibles des médias auraient dû identifier et quantifier le nombre de contrats que les sociétés et filiales de Tagwirei ont conclu avec l’État. Des chiffres qui doivent être révélé car le Zimbabwe n’a jamais connu un unique empire commercial monopolisant les contrats de l’État comme le fait Tagwirei.

En réalité, ce que connaît actuellement le Zimbabwe sous Mnangagwa est une forme de captation criminelle de l’État par un proche parent, et Kuda Tagwirei entretient essentiellement des relations d’affaires avec la famille présidentielle.  Par conséquent, il ne fait aucun doute que l’ampleur de la captation est plus importante que ce qui ressort de ce rapport particulier.

Si le rapport a suscité la colère de la société civile et des citoyens en général, c’est en raison de l’absence de campagne coordonnée et de programme d’action menés par les citoyens pour lutter contre ce cancer qui grève notre économie. La question semble avoir été quelque peu étouffée, à en voir la vitesse à laquelle les Zimbabwéens oublient et se laissent distraire, préférant visiblement discuter des escapades amoureuses du vice-président Kembo Mohadi. Sans grande surprise de la part d’un peuple dont la conscience s’est envolée sans même un adieu.

Le silence des Zimbabwéens au sujet d’un tel problème est alarmant et à ce rythme, il ne restera bientôt plus rien de ce pays. Ce rapport n’est que la partie visible de l’iceberg des nombreux scandales et des pillages colossaux conduits par les cartels qui sont parvenus à mettre la main sur l’État à la vue de tous.

Malgré l’abondance d’informations qui circulent, nos médias ont également été mis en cause en raison de leur manque de culture et d’une capacité d’investigation trop limitée pour mener des recherches plus poussées et révéler les manigances des dernières décennies. Le pays dispose d’un cadre législatif adéquat pour garantir aux médias zimbabwéens l’accès à des informations aussi cruciales que celles-ci, mais personne ne semble véritablement s’en préoccuper, car les médias sont soit complaisants, soit détenus, soit compromis.

C’est dans un tel contexte que les Zimbabwéens doués de raison doivent s’opposer à l’organisation kleptocratique de Tagwirei, car à ce rythme, le pays sera bientôt définitivement perdu.

En dernière analyse, je dirais que la solution pour faire face aux cartels et à la captation de l’État est de retirer tout pouvoir politique à la ZANU PF, et les Zimbabwéens doivent le faire sans réserve. Cependant, le processus par lequel la ZANU PF sera destituée ne pourra se faire que par les urnes, c’est pourquoi il nous faut réclamer des réformes électorales afin d’assurer la participation libre et équitable des citoyens. Cela ne signifie toutefois pas que d’autres moyens d’éliminer un État captif ne seront pas envisagés, car en dictature, les résultats électoraux ne reflètent pas fidèlement les souhaits et les intérêts du peuple.