Le continent a célébré les 58 ans de la formation de l’Union africaine (qui a remplacé l’Organisation de l’unité africaine) à la fin du mois dernier. La journée de célébration de cette année 2021 avait pour thème « Arts, culture et patrimoine : un levier pour construire l’Afrique que nous voulons ».

Cette année, la commémoration survient dans un contexte de défis sanitaires, économiques et politiques sur tout le continent. La pandémie de Covid-19, la pression économique qui en résulte, la ré-émergence des coups d’État militaires, la corruption soutenue par l’État, les flux financiers illicites, la montée des conflits armés et des insurgés islamiques dans diverses parties du continent. Pouvons-nous affirmer que nous nous rapprochons de l’Afrique que nous voulons ?

Alors que nous réfléchissons à la déclaration faite à Addis-Abeba en 1963, aux sommets successifs et à la formation de l’Union africaine en 2002, comment faire pour garder la trace des engagements passés que nous avons pris en tant que continent tout en nous concentrant sur de nouveaux domaines tels que les arts pour nous permettre de réaliser cette année le rêve africain ? L’année dernière, le thème des célébrations était « Faire taire les armes », mais depuis, celles-ci n’ont fait que résonner encore plus fort.

Le retour des coups d’État militaires

Un coup d’État est généralement défini comme « une tentative illégale et manifeste de la part des militaires (ou d’autres fonctionnaires civils) de renverser les dirigeants en place ». Une étude réalisée par deux chercheurs américains, Jonathan Powell et Clayton Thyne, cite plus de 200 tentatives de ce type en Afrique depuis la fin des années 1950.

Le Burkina Faso a connu le plus grand nombre de coups d’État sur le continent : sept réussis, et une tentative ratée. Rien que depuis 2010, l’Afrique a connu huit coups d’État réussis et au moins 29 tentatives.

La semaine où nous avons célébré la Journée de l’Afrique, le Mali a connu son deuxième coup d’État en moins de 10 mois. Au Niger voisin, un coup d’État a été déjoué en mars quelques jours avant l’inauguration présidentielle.

En avril de cette année, après la mort du dirigeant tchadien Idriss Deby, l’armée a placé le fils du défunt président au poste de président par intérim, à la tête d’un conseil militaire de transition. Un acte qualifié par ses opposants de « coup dynastique ».

Si, dans le cas du Mali, l’Union africaine est intervenue en expulsant le pays de l’organisation et en instaurant une série de sanctions, aucune mesure similaire n’a été prise à l’encontre du régime militaire tchadien. L’organisation continental a donc été accusé d’adopter deux poids et deux mesures.

En 2017, le Zimbabwe avait été le théâtre d’un coup d’État sans effusion de sang qui avait vu l’armée détrôner Robert Mugabe, l’un des présidents à avoir exercé son mandat pendant le plus longtemps.

L’émergence des insurgés islamiques

Ces dernières années ont également été marquées par l’intensification des activités des groupes militants liés à l’État islamique et à Al-Qaida dans certaines parties de l’Afrique de l’Ouest, dans la région du Sahel et dans le nord du Mozambique.

Le Sahel, une vaste région bordant le désert du Sahara et englobant les pays que sont le Mali, le Niger, le Tchad et la Mauritanie, est de plus en plus pointée du doigt par l’armée américaine comme « le nouveau front dans la guerre contre le terrorisme ».

Le week-end dernier encore, des hommes armés ont tué au moins 160 personnes lors de l’attaque d’un village au nord du Burkina Faso. Selon les autorités, il s’agit de la pire attaque que le pays ait connu ces dernières années. Des maisons et le marché local ont été brûlés lors du raid sur Solhan aux premières heures du jour samedi matin. Aucun groupe n’a revendiqué l’attaque, mais les attaques islamistes sont de plus en plus fréquentes dans le pays, notamment dans les régions frontalières.

En janvier, quelques jours seulement après le premier tour du scrutin qui devait donner lieu au premier transfert démocratique de pouvoir jamais réalisé au Niger, des militants ont attaqué deux villages dans le nord du pays, faisant au moins 100 victimes. Selon les autorités, 70 personnes ont été tuées à Tchombangou et 30 autres à Zaroumdareye, deux villages situés près de la frontière avec le Mali.

Au Mozambique, un projet de gaz naturel de plusieurs milliards de dollars a été mis en suspens dans la province de Cabo Delgado, dans le nord du pays, en raison de l’escalade des attaques d’un groupe qui serait lié à l’État islamique. Depuis octobre 2017, les insurrections des rebelles islamistes présumés d’Ansar al-Sunna ont augmenté, entraînant la mort de plus de 2 000 personnes. Selon les Nations unies, plus de 700 000 personnes ont également été contraintes de fuir leur domicile.

Instabilité politique

Le conflit armé dans la région du Tigré, en Éthiopie, qui a débuté en décembre 2020, a entraîné la mort et le déplacement de milliers de civils, et a fait l’objet d’allégations de crimes de guerre et de nettoyage ethnique. Le deuxième pays le plus peuplé du continent est également en conflit avec le Soudan et l’Égypte concernant le Grand barrage de la renaissance Ethiopien sur le principal affluent du Nil.

L’Égypte, qui affirme que le barrage privera le pays d’eau pour ses besoins agricoles, industriels et domestiques, a menacé de lancer une action militaire contre son voisin du sud.

L’Éthiopie devrait également organiser des élections dans le courant du mois, après que l’exercice initialement prévu l’année dernière ait été reporté en raison de la pandémie. Alors que l’actuel Premier ministre Abiy Ahmed Ali est acclamé pour ses réformes politiques, et notamment la libération de prisonniers politiques et de journalistes, son administration a exercé une répression sévère à l’encontre des politiciens de l’opposition et des médias d’opposition.

La Somalie, qui n’a pas connu de gouvernement stable depuis des décennies, est également plongée dans l’instabilité à la suite des tentatives du président Mohamed Abdullahi Mohamed de prolonger son mandat de deux ans.

Pandémie de Covid-19

L’Afrique a enregistré 132 517 décès dus au Covid-19. Plus de 4,9 millions de personnes ont été testées positives au nouveau virus qui a été signalé pour la première fois sur le continent au début de l’année 2020. Dans un effort pour tenter de réduire les effets de la pandémie, les pays africains ont administré collectivement 31,8 millions de doses de vaccins.

Jusqu’à présent, le continent s’est procuré 53,5 millions de doses, un chiffre dérisoire pour une population de 1,3 milliard d’habitants.

Alors que la lenteur du déploiement des programmes de vaccination dans des pays comme la RDC suscite de vives inquiétudes en raison de la diffusion de fausses informations, de l’insuffisance des infrastructures et des activités militantes dans certaines régions du pays, il est plutôt réconfortant de voir des pays comme la Tanzanie changer de position face à la pandémie et au déploiement des vaccins.

Liberté de la presse

Après une vague de libéralisation dans les années 1990, les violations de la liberté de la presse ne sont désormais que trop fréquentes. Il s’agit notamment de la censure arbitraire, en particulier sur Internet (au moyen de coupures opportunes de l’Internet dans certains pays), de l’arrestation de journalistes au motif de la lutte contre la cybercriminalité, les fausses nouvelles ou le terrorisme, et d’actes de violence contre le personnel des médias qui restent généralement totalement impunis.

Il est intéressant de noter que la Namibie, le Cap Vert, l’Afrique du Sud, le Burkina Faso, le Botswana et le Sénégal figurent dans le « top 50 » du classement mondial de la liberté de la presse  2021 de RSF presse ; la plupart des pays du continent sont mieux classés que les États-Unis (à l’exception du Sénégal). Une majorité des pays du continent figurent cependant après la centième place. Sur les 180 pays classés dans l’indice, l’Érythrée occupe la dernière place.

En conclusion, la commémoration de la Journée de l’Afrique devrait nous donner l’occasion de réfléchir à l’état d’avancement de notre continent dans la réalisation de l’union dont nos fondateurs ont rêvé en 1963. Les défis auxquels sont confrontés les pays d’Afrique sont aussi divers que la région elle-même, mais un effort collectif est nécessaire pour s’attaquer à certains de ces problèmes, notamment l’éradication des conflits armés.

Même si nous nous fixons de nouveaux objectifs pour parvenir à donner naissance à l’Afrique que nous voulons, il est important de garder une trace des objectifs passés afin de ne pas revenir sur les progrès accomplis jusqu’à présent.

Cet article est un éditorial d’Africa Blogging rédigé avec la contribution de Blessing Vava (rédactrice, section anglophone) et de Mariam Sorelle (rédactrice, section francophone). Daniel Ominde est le rédacteur en chef d’AfricaBlogging.