Emmanuel Macron, président de la République Française, a effectué une visite d’Etat au Cameroun les 25 et 26 juillets 2022 sur invitation de Paul Biya, président de la République du Cameroun. Cette visite intervient au moment où les deux pays traversent des moments particuliers dans des contextes de crises multiformes.

Les rumeurs ont circulé dans l’opinion alimentée par Jeune Afrique qui annonçait, au conditionnel, une probable visite d’Etat au Cameroun du président Français. Elles se sont dissipées après la confirmation du cabinet civil de la présidence camerounaise par un communiqué officiel une semaine après. Le retard de cette information a fait dire à beaucoup d’observateurs que Macron avait presque forcé une visite que Biya ne voulait visiblement pas. D’où l’interrogation : que cache la visite de Macron au Cameroun ?

La journée du 26 juillet a été particulièrement chargée pour Emmanuel Macron. Visite au cours de laquelle il a rencontré son homologue Camerounais Paul Biya pour un entretien de tête-à-tête qui a duré presque deux heures. La conférence de presse, à la suite de l’entretien, a été particulièrement suivie et commentée par la presse et l’opinion publique camerounaise. Fraichement réélu en avril 2022 pour son deuxième quinquennat, le président Français, dans une tournée africaine, arrive au Cameroun dans un contexte assez houleux chargé d’enjeux économiques, diplomatiques et sécuritaires qui secouent le monde et auxquels font face les deux pays.

L’actualité camerounaise et ses contradictions

Le président Macron arrive au Cameroun au moment où le pays est secoué par six crises majeures : deux crises sécuritaires, trois crises politiques, une crise économique et diplomatique.

Une crise sur le plan économique

Selon les statistiques de 2020 de la Banque Mondiale, le Cameroun a une dette extérieure à hauteurs de 13 863 899 de dollars. Avec une balance commerciale déficitaire et une économie dominée à 80% par les secteurs informels, une coopération économique inégale avec la France, l’économie camerounaise ne peut que se porter si mal. Cette situation ne date pas d’aujourd’hui. Elle est et reste inhérente à la formation de l’Etat depuis 1960 au moment où il était question de construire et bâti sur des institutions fortes. Construit sous un modèle jacobin français, le pays a hérité d’un système économique incapable de le mettre à l’abri de toutes perturbations externes.

Les perturbations dont il est question ici concernent essentiellement l’inflation qui est, pour l’année 2022, à un taux de 4,6% selon le FMI. Le marché camerounais de commercialisation des produits de premières nécessités comme le blé, la farine, l’huile, etc. et surtout le pétrole et l’engrais, les Camerounais vivent le calvaire des prix exorbitants défiant toutes normalités. Les économistes de la Banque Mondiale pointe le doigt sur la guerre Russie-Ukraine qui empêche les deux pays, mamelle nourricière du monde en termes de blé et de farine, de fournir ses partenaires habituels.

Deux crises sur le plan sécuritaire

Sur le plan sécuritaire, le Cameroun est confronté à une crise sur deux fronts : le premier front est celui de la lutte contre la secte Boko Haram dans la région de l’extrême Nord depuis 2014. Grâce à l’aide internationale, l’armée camerounaise réussit, jusqu’ici à faire face aux terroristes ; la deuxièmes est une guerre de sécession qui a déjà pris l’allure d’une guérilla en guerre civile dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest depuis 2016. Mais ce qui est paradoxal, c’est la posture que prend le gouvernement camerounais face à cette guerre. Pour lui, il ne s’agit pas d’une guerre, mais d’une opération de maintien de la paix qu’on pourrait qualifier de pacification, terme cher à la France dans sa politique de dératisation des zones hostiles à la colonisation.

Le Cameroun est également confronté à la crise sécuritaire qui frappe pratiquement tout le continent africain. Elle frappe pratiquement du sahel et évolue progressivement vers le golfe de Guinée. Sous couvert de la sécurité, les puissances occidentales veulent imposer aux différents pays d’accepter le positionnement de leurs bases militaires. Pour ce qui concerne particulièrement la France, il s’agit de quatre principales bases militaires stationnées à Libreville, Abidjan, Dakar et Djibouti. Le Cameroun constitue un enjeu central dans cet espace géopolitique occidental du golfe de Guinée.

Première crise politique : succession

Depuis la présidentielle d’octobre 2018, beaucoup d’observateurs étaient loin de penser que Paul Biya, du haut de ses 85 ans et nanti d’une expérience riche de 36 ans de magistrature suprême, devrait prendre sa retraite, malgré le mandat présidentiel  illimité selon la constitution. Cette idée de la retraite politique est d’ailleurs renforcée à l’époque par ses multiples séjours en Suisses pour des soins médicaux selon certains médias suisses.

C’est d’ailleurs ce qui justifie la signature du décret n°2019/043 du 5 février 2019, conformément à l’article 10 alinéa 3 de la constitution, « accordant délégation permanente de signature à Monsieur Ferdinand Ngoh Ngoh, Secrétaire général de la Présidence de la République » (SGPR), lui donnant ainsi des pouvoirs d’agir sur le fonctionnement des institutions de la république. C’est également sous la formule « les très hautes instructions du chef de l’Etat » brandis à chaque communication du SGPR est chaque fois considérée comme un ordre du chef de l’Etat. Cela est d’autant plus curieux que les Camerounais ont surnommé Ngoh Ngoh « le vice-dieu ». Il se présente ainsi comme le porte-étendard du camp des partisans de la thèse de la « succession par allégeance » selon l’expression du philosophe Fraklin Nyamsi, ou encore de la « transmission guidée du pouvoir » selon les termes de Dieudonné Essomba. Par contre, selon Maurice Kamto, ces deux types de transmission de pouvoir sont considérés comme du « gré à gré ».

Ce camp estime que la succession héréditaire ne peut pas s’appliquer au Cameroun pour la simple raison que c’est un cas particulier. Si c’était la politique privilégiée par Ahmadou Ahidjo, celui-ci aurait proposé son fils le nommé Mohamadou Badjika Ahidjo en 1982. Constitutionnellement, c’est Paul Biya, Premier ministre qui a pris le pouvoir après la démission du président.

Frank Biya est celui qui est considéré par l’opinion comme la tête de prou de cette thèse de la succession héréditaire. Les tenants de cette thèse pensent, et avec raison, que le Cameroun, appartenant au pré carré français, ne doit pas déroger à cette règle comme cela a été le cas avec le Tchad validé par Macron lui-même en assurant son soutien à la junte au pouvoir après la mort d’Idris Deby. Il en est de même pour les pays comme le Gabon, le Togo et bien d’autres que la France a d’ailleurs soutenu jusqu’ici. Il en est de même également pour les cas qui se profilent à l’horizon comme la Guinée Equatoriale avec Theodorin Nguema Obiang Mangue et le Congo-Brazzaville avec Denis Christel Sassou Nguesso.

Deuxième crise politique : légitimité

Macron arrive donc pendant que le climat est dominé par une guerre de succession sournoise à la tête de l’Etat. Paul Biya, à 89 ans aujourd’hui, semble être l’une des curiosités de la visite par le fait qu’il lui appartient désormais de sonner le glas de sa retraite politique depuis la présidentielle d’octobre 2018. Malgré cette victoire, elle reste toujours contestée par le larder du MRC, Maurice Kamto. En effet, beaucoup d’observateurs pensent que c’est un mandat de trop compte tenu de son âge, sa résistance physique à tenir les paris de la présidence très exigence en matière de présence sur l’actualité nationale et internationale. Ce manquement a d’ailleurs été bien visible remarquable lors de la pandémie de la Covid-19 en 2020 et 2021 qui obligé la suspension provisoire de la fête nationale pour ces deux années.

Cette situation a fait dire à beaucoup, et en premier lieu Maurice Kamto en avril 2020, que compte tenu d’un certain nombre de principe de lamorale publique quant à la présence physique du président de la république, l’Assemblée nationale doit déclarer la vacance à la présidence de la république. Ainsi, en dehors des deux camps (le camp de la succession héréditaire et le camp de la succession par allégeance) qui s’opposent dans la succession du vieux « lion », il y a celui de l’opposition qui, malgré ses forces et ses faiblesses, reste toujours à craindre parce qu’elle est manifestement sur qui-vive.

Crise diplomatique et géopolitique

Cette situation géopolitique camerounaise sur le golfe de Guinée est stratégique. Cela oblige Paul Biya à faire le choix entre deux positions, deux bocs en crise en ce moment : la Russie qui fait partie du bloc de Shanghai et les BRICS confronté à l’Ukraine soutenu par l’OTAN. Le Cameroun a tendance à se rapprocher du bloc de Shanghai. Deux éléments le témoignent à suffisance.

Le premier concerne les votes qui se sont déroulés aux Nations unies aux mois de mars et avril 2022. Le vote du 2 mars 2022 par 141 voix sur 193, les Nations unies exigent dans sa Résolution « que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine ». Le vote du 7 avril 2022 a été validé par 93 voix sur 193 qui suspendent la Russie du Conseil des droits de l’homme de l’ONU pour « invasion de l’Ukraine ». Pour ces deux votes, le Cameroun a brillé par une absence qu’on pourrait qualifiée de boycott. Cette option qu’a choisie Paul Biya n’est pas du goût du bloc de l’OTAN.

Le deuxième élément est la signature d’un accord militaire entre le Cameroun et la Russie le 13 avril 2022 à Moscou. Cet accord inclut par exemple la présence de l’armée navale ou aérienne russe au Cameroun et vice-versa.

Que vient Emmanuel Macron à Yaoundé ?

Au vu de tout ce contexte camerounais, peut-on à la suite imaginer un tant soit peu ce que Macron vient faire à Yaoundé ? Vient-il demander à Paul Biya de céder le pouvoir compte tenu de son âge ? Vient-il réconcilier les camps qui se battent pour la succession ? Vient-il discuter avec Paul Biya de la fin de la guerre dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ? Vient-il demander à Paul Biya les comptes pour avoir choisi le camp de la Russie ? Cette dernière question semble la plus plausible. Mais, pour le comprendre, il faut scruter l’actualité française.

La France à la recherche de nouveaux débouchés

La France, comme plusieurs pays européens, passent des moments difficiles dans un contexte nourri par deux crises majeures : la Covid-19 et la guerre Russie-Ukraine. Bien que les effets de la pandémie soient encore persistants, seule la guerre occupe l’actualité dans les médias occidentaux et surtout français. Ces deux crises plongent la France dans une tourmente. Elle fait donc face à cinq difficultés majeures :

  • La rupture de confiance entre Macron et les Français ;
  • la France engluée dans une crise de deux blocs ennemis ;
  • la France face au sentiment anti-français en Afrique ;
  • imminente récession économique qui est inédite dans la Ve République. La France a justement connu sa dernière récession économique à la suite de la crise du choc pétrolier dans les années 1970 ;
  • une crise énergétique et crise des matières premières pour subvenir aux multiples besoins de l’économie devenues trop exigeantes ;
  • sa dette est « augmenté de 90 milliards d’euros au premier trimestre 2022» selon l’économiste Nicolas Baverez le 6 juillet sur LCI

Cependant, ce qui est le plus intéressant à scruter dans le cadre de la visite de Macron à Yaoundé c’est la crise de légitimité, le sentiment anti-français en Afrique et la guerre Russie-Ukraine

La crise de légitimité de Macron en France

Cette crise de légitimité est analysée par Le Point qui décrit le contexte politique français en précisant qu’il est marqué par « La rupture de confiance entre Emmanuel Macron et les Français ». A la suite des élections présidentielles d’avril 2022, Macron se trouve dans une situation de crise de légitimité en France. Il a sans doute été réélu, mais les législatives lui ont été fatales. Il lui manque donc cette majorité absolue à l’Assemblée nationale pour lui permettre de gouverner tranquillement à sa guise. Il est donc obligé de s’appuyer sur des alliances avec, par exemple, la droite voire au pire des cas l’extrême-droite. Macron se retrouve donc dans une assemblée nationale fracturée en quatre blocs avec lesquels il doit désormais gouverner. Il existe :

  • le bloc de la majorité présidentielle dont il est le chef de file ;
  • le premier bloc de l’opposition à l’Assemblée nationale est celui de la Nupes avec comme chef de file Jean-Luc Mélenchon ;
  • la deuxième force de l’opposition quant à elle est composée du bloc du Rassemblement nationale avec Marine Le Pen comme leader ;
  • Pour ce qui concerne le troisième, bloc des Républicains, il est composé d’anciens RPR, URP de la droite de Jacques Chirac.

Englué dans un tel bourbier en France, Macron se retrouve dans une situation d’inconfort politique où il souffre de crise de légitimité. Pour augmenter sa côte chez les Français, il doit absolument chercher à faire des actions pour redorer son blason. Il décide donc d’agir à l’international. Cette tendance à la légitimation à l’extérieur se fait par ses sorties contre la Russie et surtout dans la diplomatie en Afrique.

Les grands défis sécuritaires en Afrique

L’armée française passe, depuis 2020, de sales temps en Afrique. Bizarrement, ce sont des médias français qui en font le constat. L’échec de l’armée française concerne particulièrement la lutte antiterroriste en Afrique. Depuis les indépendances, les quatre principales bases militaires sont mobilisées à cet effet. Il s’agit notamment des bases militaires de Dakar, d’Abidjan, de Libreville et de Djibouti. Mais cette présence est de plus en plus remise en cause face à l’échec des forces Barkhane Takuba au Mali et Sangaris en Centrafrique dans la lutte contre le terrorisme en Afrique.

Il existe deux particularités à mettre en exergue ici concernant ces échecs. La première particularité de ces deux échecs précédents de l’armée française est que l’une des forces, Barkhane Takuba, se trouve en Afrique de l’Ouest et l’autre, Sangaris, se trouve en Afrique centrale. Ces deux régions sont considérées comme celles des pays du pré carré français. La deuxième particularité est que les pays concernés, le Mali et la RCA, sont réputés très proches de la Russie depuis presque deux ans. Ce qui signifie la montée en puissance de la Russie en Afrique en commençant par le Soudan avec Wagner, la société de sécurité privé russe dirigée par l’homme d’affaire russe Evgueni Prigojine, proche de Vladimir Poutine.

La diplomatie française à l’épreuve en Europe

Selon le philosophe Camerounais Franklin Nyamssi, sur le plan géopolitique, la France est coincée entre deux forces. D’une part, la politique internationale de la guerre en Ukraine dictée par les États-Unis à travers l’OTAN. D’autre part, la volonté d’incarner une Europe de la défense basée sur le couple France-Allemagne et qui impulserait une autonomie sécuritaire. Cette difficulté à se partager entre les deux a obligé Macron à s’aligner derrière son partenaire habituel : les Etats-Unis. Engagé dans la défense de l’Ukraine contre la Russie, cet alignement ne change évidemment rien à sa politique de défense européenne.

Malheureusement, cette position du couple France-Allemagne fait voir en toile de fond sa soumission à la volonté de la toute-puissance des Américains. De l’aveu de plusieurs diplomates, la guerre Russie-Ukraine a pour objectif principal de déstabiliser et affaiblir la Russie. On voit là une réelle volonté de se rapprocher de la Chine pour la grande confrontation entre le roi de l’Occident et le roi de l’Orient. C’est donc « une guerre entre deux grands rivaux vassaux économiques et militaires où l’Europe qui n’est pas concernée se trouve engluée et entraînée par le couple franco-allemand ». Les pays européens sont pris entre le marteau et l’enclume, entre le bloc de Shanghai composé de l’alliance russo-chinoise, et le bloc de l’OTAN dominé par le géant américain.

Dans un tel contexte, la visite de Macron en Afrique et plus particulièrement au Cameroun est une réelle volonté de se rapprocher de son pré carré pour donner un peu du souffle à sa politique en France et comprendre les Africains dans leur choix contre l’Occident. Il faut bien le préciser, le pré carré français en Afrique constitue ce que les Nations unies considèrent encore comme ce par quoi la France est encore considérée comme une puissance.

Conférence de presse au chassé-croisé à Yaoundé

Macron arrive donc à Yaoundé dans une capitale du Cameroun désabusé par l’inflation, la guerre dans les régions anglophones, la légitimité contestée de Biya et une guerre sournoise de succession qui plane dans l’air. Pur comprendre l’importance de cette visite, la conférence de presse nous en dit plus. Elle a eu lieu au palais de l’Unité de Yaoundé après un long entretien de deux heures, initialement prévu pour une heure. Preuve que les échanges ont été houleux, sans doute. La conférence de presse qui a suivi l’entretien était particulièrement chargée de surprises inattendues.

La disposition des journalistes dans la salle et le jeu de questions-réponses faisaient penser à des tirs croisés. Les journalistes de la presse officielle camerounais d’un côté et les journalistes de la presse officielle française de l’autre. Les journalistes camerounais posaient généralement leurs questions au président Macron, tandis que les journalistes Français adressaient généralement leurs questions au président Biya. Pendant que les journalistes camerounais tançaient Macron, les journalistes Français tançaient Biya. C’est à la guerre comme à la guerre.

Les questions-réponses des journalistes Camerounais à Macron

Sur le plan de la sécurité, les journalistes Camerounais ont fait mention d’un déséquilibre dans l’octroi des aides. En fait, ils ont insisté sur le déséquilibre des aides à la sécurité fournies à l’Ukraine par l’Occident en comparaison à l’aide fournie à l’Afrique par l’Occident également. La réponse de Macron a été un peu alambiquée. Il affirme qu’aucun pays africain ne subit pas jusqu’ici une attaque venant de l’extérieur comme c’est le cas avec l’Ukraine qui est agressée par la Russie depuis le 24 février 2022.

Cette réponse ne semble pas satisfaire l’opinion qui pense que Macron fait preuve de mauvaise foi. Certains pays africains, comme dans d’autres parties du monde, font face à une attaque extérieur. On peut par exemple citer trois cas qui continuent d’ailleurs de meubler l’actualité :

  • La rébellion du Mouvement du 23 mars en RDC que beaucoup d’observateurs attribuent au Rwanda. Le M23, comme on l’appelle, est un mouvement composé d’anciens rebelles Tutsi vaincus en 2013 qui exigent à Kinshasa le respect des accords sur la démobilisation et la réinsertion d’ex-rebelles du CNDP réintégrés dans l’armée congolaise à la suite d’un accord de paix signé le 23 mars 2009 ;
  • Le Conflits armé entre le Tchad, la Centrafrique et le Soudan ;
  • Et l’intervention armée de l’OTAN en Libye en mars 2011.

Pour la presse officielle camerounaise, ce déséquilibre ne se justifie pas et par conséquent, cette stratégie de deux poids deux mesures d’aide de l’Occident ne laisse personne indifférente. Pourquoi ce déséquilibre ? Qu’est-ce qui se cache derrière la présence des hommes armés en Afrique ?

La question qui a beaucoup soulevé l’opinion est celle des crimes perpétrés par la France coloniale au Cameroun. La question du journaliste camerounais avait pour objectif de savoir si la France est prête à reconnaître ses crimes commis au Cameroun entre les années 1950 et 1970 contre la population et les leaders nationalistes. Il faut préciser que cette question avait d’ailleurs fait l’objet du même exercice lors de la visite de François Hollande en juillet 2015. Hollande avait à cet effet répondu en annonçant l’ouverture des archives logées en Frances. La presse avait d’ailleurs annoncé l’ouverture effective de ces archives. Paradoxalement, Macron annonce plutôt la création d’une commission paritaire franco-camerounaise pour étudier cette faisabilité.

Il faut par ailleurs préciser que l’opinion n’a pas bien apprécié cette posture de Macron, qui ressemble à un revirement, dix après celle de Hollande qui augurait plein d’espoir. Comment peut-on comprendre cette posture du président Français alors que beaucoup d’historiens ont déjà eu à publier des ouvrages basés sur certaines archives à propos de ces crimes ? Des exemples d’historiens sont légions : Richard Joseph, Meredith Terretta, Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, sans oublier Achille Mbembe qui est curieusement en train d’accompagner Macron dans sa nouvelle politique de la France-Afrique.

La question sur l’influence de la Russie en Afrique fait jaser depuis le déclanchement de la guerre Russie-Ukraine. Il est reproché aux pays africains, notamment ceux qui ont choisi de ne pas voter et ceux qui ont choisi carrément de s’absenter, comme c’est le cas pour le Cameroun, de vouloir soutenir la Russie. Macron accuse à cet effet la RDC et le Mali d’avoir accepté cette collaboration avec cette Russie qui met à mal la sécurité en Europe. Il se plaint ainsi de « l’hypocrisie » des Africains qui refusent de condamner « l’agression unilatérale » de la Russie.

Ces pays africains, dit-il, laissent que les Russes procèdent à la captation des matières premières. Curieusement, il ne fait pas allusion au Tchad où il était nuitamment donné son onction à Mahamat Idriss Déby Itno le 23 avril 2021 pour les obsèques du président Idriss Deby Itno mort le 20 avril.

La réponse de Biya aux journalistes Français : « Je n’entends pas »

Cette conférence de presse a révélé le côté obscur de la personnalité de Biya particulièrement obnubilé par son caractère mystérieux dans sa gestion du pouvoir politique.

Il a surpris tout le monde par sa subite surdité que beaucoup d’observateurs ont à la fin de la visite qualifié de ruse et de feinte. Biya est généralement considéré comme un président effacé, discret. Ses sorties publiques et ses réactions dans la marche de la république sont généralement des événements très attendus à Yaoundé. Biya se présente comme un homme chargé de mystère et qui ne laisse présager aucun doute sur ses capacités à diriger le pays, bien que son âge et sa mobilité le mettent toujours à l’épreuve des faits.

Il a gardé ce mystère tout au long de la conférence de presse concernant les questions qui fâchent, notamment la question concernant sa succession à la tête du pays avec 89 ans bien sonnés après 40 ans au pouvoir. Il a joué à la feinte de la surdité en mettant curieusement encore du doute dans sa réponse. En renvoyant les journalistes Français à faire une soustraction pour connaître combien d’années il lui reste pour achever son mandat, il affirme par là sa toute puissance et sa volonté inébranlable de l’achever malgré les signes visibles de faiblesse. Il réaffirme ainsi sa vitalité apparente avec un sous-entendu de sa capacité à achever ce mandat sans heurt. Il n’a laissé rien présager sur sa succession. Rendez-vous a donc été pris pour 2025 pour connaître s’il briquera son 8ème mandat ou s’il ira « au village », selon ses propres mots.

Cette ruse de Biya a été particulièrement remarquée pour deux questions importantes concernant sa politique économique et diplomatique. Premièrement, les journalistes Français voulaient savoir les raisons qui ont justifié la baisse du taux d’attribution des marchés publics aux entreprises françaises de 45% à presque 10%. Deuxièmement, le choix du Cameroun de s’absenter lors des élections à l’Assemblée générale contre la Russie. Ces deux préoccupations qui étaient vivement attendues par les journalistes et l’opinion internationale n’ont eu pour seule et unique réponses que des oreilles obstruées faisant office de refus rusé manifestement non assumé d’assumer publiquement ses responsabilités. C’est une façon de se justifier plus tard en disant « je n’ai pas répondu parce que je n’avais pas entendu la question ».

Pour la question concernant la signature de l’accord militaire avec la Russie en pleine guerre Russie-Ukraine, Biya a plutôt été ferme. La signature de cet accord militaire qui a eu lieu en 2015 était arrivée à expiration cinq ans après. Il n’avait pas été renouvelé en 2020 à cause de la crise pandémique de la Covid-19. Pour Biya, cet accord n’a donc par conséquent aucun lien avec la guerre Russie-Ukraine. C’est juste une coïncidence, clame-t-il. Curieusement, les journalistes Français ont oublié de lui rappeler que c’est un accord qui, contrairement au premier, contient de nouvelles clauses. On peut citer particulièrement la possibilité pour les deux armées d’intervenir sur le territoire de l’un et de l’autre.

Qu’est donc venu faire Macron à Yaoundé ?

A la fin de cette conférence de presse, on se rend compte que les questions sur la guerre dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest n’ont pas été abordées. Il en est de même pour le cas des prisonniers politiques anglophones. Il ne vient pas au Cameroun parce que Sisiku Ayuk Tabe, le leadership ambazonien, kidnappé au Nigéria malgré la protection du droit international, est incarcéré à Kondengui et condamné à la prison à vie. Il ne vient pas non plus pour parce qu’une centaine de manifestants et militants du MRC, parti politique de l’opposition dont Maurice Kamto est le leader, sont en prison depuis plus de deux ans non pas pour trouble à l’ordre public, mais pour « insurrection » simplement pour avoir marché afin d’obtenir des élections transparentes. Comme le dit si bien Jeune Afrique, on n’a pas abordé les questions qui fâchent.

Cela permet donc de spéculer sur l’objet de cette visite, semble-t-elle, curieuse. Manifestement, Macron serait venu à Yaoundé « pour parler d’agriculture » selon l’écrivain Patrice Nganang. C’est donc à cause de ce qu’on appelle en Occident les « grains » produit par l’Ukraine pour alimenter l’Europe que Marcon arrive même nuitamment. Macron vient en Afrique pour, officiellement, « éviter une catastrophe alimentaire mondiale causée par la Russie » et amener l’Afrique à basculer dans le bloc de l’OTAN et soutenir Zelenski.

Tchakounte Kemayou

Photo : Just Click’s With A Camera/Flickr