Une nuit non fatidique d’octobre
Par une nuit chaude d’octobre 2009, mes compagnons leaders étudiants et moi-même prenions les transports publics pour rentrer chez nous après avoir célébré l’anniversaire du fils d’un collègue. Aucun d’entre nous ne savait que les évènements allaient prendre un tour inattendu et que nous finirions dans une cellule de prison froide.
Après être montés dans un bus de correspondance à Market Square, l’un des terminaux les plus fréquentés de Harare, capitale du Zimbabwe, en route pour notre banlieue des classes populaires de Glen View, nous avons rejoint d’autres passagers dans une conversation sur les divers problèmes sociaux, politiques et économiques du jour. Au Zimbabwe où l’espace pour les droits humains est limité, les gens sont souvent réticents à participer à des discussions publiques sur la politique et les échecs du gouvernement. La conversation était assez émotionnelle et animée. Les passagers exprimaient avec passion et ouvertement leur mécontentement face à la détérioration constante de l’économie et la répression impitoyable de toute forme de dissidence qui en découlait.
Robert Mugabe, toujours président à ce moment-là, refusait d’accepter un arrangement gouvernemental inclusif après avoir perdu les élections présidentielles de 2008, et refusa de procéder à la passation de pouvoir à Morgan Tsvangirai, le leader de l’opposition et le vainqueur des élections, qui décéda plus tard d’un cancer en 2018. L’un de mes collègues expliqua à voix vive pourquoi Mugabe était la raison de la crise politique du Zimbabwe car il continuait à ébranler les partis du gouvernement inclusif.
Quelques passagers ont crié que la simple mention de Mugabe pouvait causer des ennuis à tous les passagers du bus. Donnant raison à ces paroles, le conducteur fit soudain demi-tour et roula directement jusqu’au commissariat de police central de Harare.
A notre arrivée au commissariat, célèbre pour être le centre de détentions arbitraires, quatre policiers armés qui avaient été informés de ce qui s’était passé, nous passèrent les menottes immédiatement, en déclarant que nous avions commis un acte de « trahison ». Pendant deux bonnes heures, nous avons été interrogés et frappés sévèrement avant d’être finalement détenus dans des cellules crasseuses.
Certains de mes camarades saignaient, mais on leur refusait toute aide médical. Nous sommes restés deux nuits en garde-à-vue avant d’être libérés.
Une révolution trahie
C’est l’un des nombreux incidents que j’ai vécus en tant qu’étudiant militant au cours des années terrifiantes du régime de Mugabe. Insulter ou discréditer la présidence était l’une des accusations les plus courantes pour persécuter les Zimbabwéens ayant exercé la liberté d’expression garantie par la Constitution.
Je faisais partie des centaines d’étudiants militants arrêtés, battus, détenus ou empêchés d’étudier pendant le règne de Mugabe. Après la formation de l’opposition, le Movement for Democratic Change (MDC) en 1999,dans lequel le mouvement étudiant a joué un rôle essentiel, la dureté de Mugabe à l’égard des étudiants militants de l’enseignement supérieur s’est aggravée.
Le mouvement étudiant est devenu une composante du parti MDC nouvellement constitué, après que lesdoléances des étudiants relatives à la privatisation de l’enseignement et plus généralement à la détérioration des conditions macroéconomiques, aient été ignorées par le parti au pouvoir, le ZANU PF. Les leaders et militants étudiants sont devenus les cibles principales de la politique de répression de Mugabe. Pour mémoire des étudiants ont été tués, certains se sont vus interdire à vie la possibilité de poursuivre des études au Zimbabwe tandis que d’autres ont fait l’objet de sévères suspensions. Tout cela faisait partie des stratégies de Mugabe pour réduire au silence une masse critique : les étudiants.
Nous nous sentions trahis par Mugabe et sa génération à cause de leur égoïsme et de leur cupidité qui avaient privé les jeunes des fruits de la libération du Zimbabwe. L’effondrement économique, le chômage, la corruption et les abus de pouvoir m’ont motivé à remettre en cause son règne, bien que ce chemin ait été dangereux, émaillé de disparitions, d’agressions et d’arrestations rapportés quotidiennement.
Oui, Mugabe est mort, mais le Mugabéisme est toujours vivant
Après l’annonce de la mort de Mugabe le vendredi, j’ai réfléchi à son leg. C’était un homme qui, les premières années de son règne, avait défendu une politique d’éducation pour tous radicale, et à son crédit, une majorité de Zimbabwéens de milieux pauvres en ont bénéficié. Le rêve de l’éducation pour tous avant l’année 2000 s’est métamorphosé en cauchemar mélodramatique quand Mugabe a privatisé et traité les études comme une marchandise, résultant sur la privation de l’accès aux études supérieures pour des milliers d’étudiants issus de milieux modestes.
Alors que le leg de Mugabe continue à faire l’objet de débats, il serait prudent que nous nous demandions s’il était le seul à vouloir perpétrer les violations massives des droits humains qui ont caractérisé son leadership et la destruction de l’économie du Zimbabwe. La réponse est non. Mugabe n’était pas seul, il représentait un système de gouvernance que j’appelle le Mugabéisme. Sa destitution en 2017 et les évènements qui ont suivi, en particulier les fusillades post-élections du 1er août 2018, celles des 14 au 16 janvier et les allégations de viols de femmes parmi tant d’autres violations des droits humains, ont exposé le pouvoir derrière ses 37 années de terreur.
Le passif du Zimbabwe en termes de violations des droits humains se poursuit et s’aggrave avec des dirigeants qui tentent de se dissocier de Mugabe, et pourtant plus ils s’en éloignent, plus son ombre les suit.
A la fin, Mugabe serait selon ses proches mort comme un homme aigri, s’étant senti trahi par ses lieutenants de confiance. Bien que Mugabe se soit senti trahi, il semblerait pourtant que ses successeurs poursuivent son leg de violation des droits humains et de répression. Pour le mouvement pro-démocratique zimbabwéen, un slogan reste : « La lutte continue » !
Ceci est une version actualisée d’un article commandé d’abord paru sur dw.com