La récente visite africaine du ministre chinois des Affaires étrangères, M. Wang Yi, a constitué un événement lourd de sens, qui vient réaffirmer l’influence considérable que la Chine exerce sur le continent, tant au niveau politique qu’économique.

Bien que certains experts aient considéré la visite comme un événement discret, différentes interprétations peuvent cependant être avancées pour déchiffrer le sens de la visite du ministre Wang en Afrique et au Zimbabwe plus particulièrement.

Une lutte d’influence

Tout d’abord, il est habituel qu’un ministre des affaires étrangères chinois se rende en Afrique en début d’année. Cependant, cette visite est importante en termes de dynamique géopolitique, étant donné que l’Occident essaie également d’exercer son influence sur le continent.

Pendant des décennies, l’impérialisme occidental a marqué en profondeur le continent, en particulier après la tristement célèbre réunion de 1884 convoquée par le chancelier allemand Otto Eduard Leopold, plus connu sous le nom d’Otto von Bismarck, une réunion qui a réglementé la colonisation européenne et le commerce en Afrique au cours de la période du Nouvel impérialisme, et qui a constitué le point de départ du premier Partage pour l’Afrique.

Il convient de noter que le ministre chinois a durci sa position lors de sa visite dans cinq pays, l’Égypte, Djibouti, l’Érythrée, le Burundi et le Zimbabwe, au cours de laquelle il a rencontré des ministres des Affaires étrangères, des présidents et leurs vice-présidents.

Au Zimbabwe, le président Emmerson Mnangagwa a dû écourter ses vacances pour rencontrer le diplomate chinois. Cela illustre l’influence que la Chine exerce sur le continent.

Impérialisme chinois
Deuxièmement, outre le fait que la Chine envoie un message indirect à ses ennemis, les conclusions que nous pouvons également tirer de la visite, des discussions qui se sont tenues entre le responsable chinois et les dirigeants des pays visités et d’autres initiatives telles que Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), sont qu’un impérialisme chinois émerge clairement sur le continent.

Contrairement à l’initiative de Berlin de 1884, les Chinois ont fait preuve d’une grande intelligence dans leur approche de l’exploitation des ressources de l’Afrique dans le cadre du deuxième Partage de l’Afrique.

La deuxième ruée pour les matières premières de l’Afrique a vu l’occident perdre son influence économique au profit de la Chine, grâce à l’absence d’ingérence, au respect, à la confiance et au soutien mutuel que proposait cette dernière.

La bataille entre la Chine et les États-Unis

Troisièmement, la Chine a utilisé l’Afrique comme une zone dans laquelle il était possible de défier l’Occident et, en particulier, l’hégémonie de l’Amérique sur le reste du monde. L’accent mis par les Chinois sur la non-ingérence est une référence directe à l’Occident et une façon de railler ce dernier, en particulier les États-Unis, constamment accusés de s’immiscer dans les affaires intérieures d’autres pays, ce que le ministre Wang a souligné à nouveau lors de sa visite en demandant ouvertement à l’Occident de lever les sanctions contre le Zimbabwe.

Dans le même esprit, les commentaires de M. Zhao Baogang, l’ambassadeur adjoint chinois au Zimbabwe, relatifs au nouveau Parlement en cours de construction par les Chinois à Mt Hampden, semblent étayer mon argument.

L’ambassadeur adjoint chinois a déclaré que le nouveau Parlement était important pour la décolonisation du Zimbabwe, dénigrant ainsi l’ancien maître colonial britannique.

Ainsi, ce n’est pas non plus une coïncidence si Brian Nichols, l’ambassadeur des États-Unis, a rencontré Constantine Chiwenga, vice-président du Zimbabwe, quelques jours après la visite de M. Wang.

Quatrièmement, le choix du Zimbabwe n’était pas une coïncidence, les relations entre la Chine et le Zimbabwe ayant compté au nombre des plus visibles au cours de la dernière décennie.
Au début des années 2000, le Zimbabwe a annoncé une politique d’ouverture vers l’Est, et notamment sur la Chine, les politiciens du parti au pouvoir qualifiant la Chine « d’ami de toujours ». D’une certaine manière, le Zimbabwe est unique en Afrique en ce qu’il a poursuivi une relation active et engagée avec la Chine de manière plus agressive que d’autres États africains, d’où cette visite.

Par ailleurs, la visite au Zimbabwe du plus haut diplomate chinois a été l’occasion de se montrer unis après un tollé diplomatique l’année dernière à propos d’un différend sur l’aide chinoise au Zimbabwe, et il y a quatre ans lorsque le Zimbabwe a expulsé toutes les entreprises minières de Chiadzwa.
Tout d’abord, en 2016, les relations entre Harare et Pékin se sont étiolées quand le gouvernement de feu Robert Mugabe, le président de l’époque, expulsa tous les mineurs des mines de diamants de Chiadzwa.

Les entreprises chinoises alors touchées étaient principalement Anjin et Jinan, mais le gouvernement zimbabwéen finit par plier sous la pression chinoise et autorisa à nouveau Anjin à exploiter ses mines.

L’année dernière, la relation a de nouveau battu de l’aile après la déclaration par le gouvernement zimbabwéen qu’il n’avait reçu que 3,6 millions de dollars d’aide de Pékin en 2019 – 40 fois moins que le chiffre annoncé par la Chine.
Les représentants des deux pays ont essayé de se montrer unis en dépit de la polémique, et ont continué à insister sur l’amitié entre les deux pays.

Le ministre Wang, s’exprimant à cette même occasion, déclara que les relations bilatérales entre la Chine et le Zimbabwe au cours des 40 dernières années « s’étaient renforcées et étaient des relations de confiance ».

« L’amitié qui nous unit s’est renforcée et nous nous faisons encore plus confiance. Nous avons encore renforcé notre engagement à assurer une coopération bilatérale ».

La confiance s’érodait, c’est pourquoi la Chine dut publier une déclaration rectifiant les chiffres de l’aide accordée au Zimbabwe.

Je rejoins cependant le point de vue de certains experts qui affirment que si l’économie conserve une place importante dans la relation sino-africaine, elle ne constitue que l’une des facettes d’un agenda politique, militaire et technologique plus vaste.

Une politique étrangère incohérente

Enfin, il ne fait aucun doute que les Chinois sont un peu agacés par les incohérences de la politique étrangère menée par Mnangagwa.

Il me semble que les Chinois sont déçus par la complaisance de Mnangagwa à l’égard des Russes et, auparavant, des Britanniques, c’est pourquoi certains experts faisaient allusion au fait que les Chinois se portaient désormais garants de la prise du pouvoir par Chiwenga.

En 2017, Chiwenga a mené un coup d’État juste après son retour de Chine, renversant Mugabe, son chef de longue date.
L’année dernière, il a passé beaucoup de temps en Chine où il se faisait soigner, et à son retour, il n’y avait que M. Zhao, l’adjoint à l’envoyé spécial, pour l’accueillir à l’aéroport international Robert Gabriel Mugabe de Harare.

Se pourrait-il que les Chinois le préparent à prendre le relais ? Cela expliquerait donc pourquoi Mnangagwa a également écourté son congé pour rencontrer le ministre Wang. Il s’est passé tant de choses à huis clos, mais peut-être peut-on aussi considérer cette visite comme une « réconciliation » entre amis qui se sont disputés.