Un document partagé sur internet il y a quelques jours a suscité la colère de nombreux camerounais. Il s’agit d’un appel d’offres pour la deuxième phase de la construction de la résidence du président du conseil économique et social, M. Ayang Luc, donc le montant estimatif s’élève à 2 milliards de francs CFA. De quoi se poser des questions quant aux priorités du gouvernement dans le choix des dépenses à effectuer.
Pauvreté ambiante
Il faut le rappeler, le camerounais lambda peine à joindre les des bouts. Selon le Rapport sur le Développement Humain 2020, 45.3% de la population camerounaise est en situation de pauvreté multidimensionnelle – il s’agit d’un indice « qui fait ressortir plusieurs privations superposées dont souffrent les personnes dans trois dimensions : la santé, l’éducation et le niveau de vie ». Selon le même rapport, 37.5% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 931 FCFA par jour.
Et depuis quelques années, l’inflation galopante et le manque de mesure d’accompagnement de la part des gouvernants n’arrangent pas les choses. Ces dernières années ont été particulièrement difficiles avec l’augmentation progressive et incontrôlable des prix des denrée alimentaires. La note publiée en février 2022 par l’Institut National de la Statistique (INS) est là pour le démontrer : entre 2017 et 2022, le taux d’inflation au Cameroun a atteint les 9.2%, au nez et à la barbe des autorités camerounaises qui jusqu’ici n’ont pas réussi à contenir le phénomène ni même à en atténuer les effets.
Crises socioprofessionnelles
Depuis le 22 mai 2023 le personnel de santé est en grève partielle au Cameroun. En cause, le nom payement de salaire de près de 27.000 d’entre eux depuis 10 ans, à l’exception du versement ponctuel de diverses primes. Une situation qui s’enlise étant donné que le gouvernement multiplie réunions de crise, intimidations et promesses, sans que rien de vraiment concret ne soit fait pour la résolution de la crise.
L’année dernière, les enseignants camerounais ont eux aussi lancé un mouvement de grève pour protester contre les lenteurs dans la prise en charge de fonctionnaires intégrés et déployés sur le terrain, donc certains étaient en service depuis 10 ans déjà sans avoir perçu le moindre sou, où pour certains en touchant seulement une partie de leur salaire. Selon les enseignants, la dette de l’état du Cameroun envers eux s’élevait à 180 milliards de francs, et continuait à grossir au fur et à mesure que le temps passait.
Priorité au Gouvernement ?
Pour résumer la situation, le Cameroun évolue dans un contexte où des fonctionnaires et autres personnels, recrutés et envoyés sur le terrain, réussissent à passer jusqu’à 10 années sans rémunération ou en ayant juste quelques primes en guise de rémunération. Or, à chaque fois que la question a été posée, le gouvernement a eu de la peine à justifier ces retards, évoquant quelques fois des tensions de trésorerie.
Le niveau de pauvreté, les crises socioprofessionnelles, la prolifération du choléra même dans les grandes métropoles comme Douala et Yaoundé, l’absence de routes praticables etc. donnent effectivement à penser qu’il y a tension de trésorerie et que le Cameroun est un pays au bord de la faillite. Mais cette impression s’estompe rapidement lorsqu’on est devant un appel d’offres pour la construction de la résidence d’un fonctionnaire donc la deuxième phase est budgétisée à 2 milliards de francs CFA !
Le pire, c’est quand on réalise que ce n’est pas un cas isolé et que les dépenses faramineuses qui ne profitent qu’à des individus sont l’apanage de nombre de nos dirigeants : véhicules hors de prix, gadgets électroniques, réfections coûteuses de leurs bureaux, tout prétexte est bon pour vider les caisses.
La folie des véhicules
En 2022, le Ministre de l’Administration Territoriale Paul Atanga Nji a offert au nom du Président de la république 40 véhicules de fonction à 5 préfets et 35 sous-préfets. Un an après c’est-à-dire en mars 2023, c’est 38 véhicules qui étaient offerts aux mêmes autorités, alors même que les enseignants étaient en pleine grève pour réclamer leurs salaires. En 2018, c’étaient 50 véhicules dont le prix unitaire était estimé à 38 millions, qui avaient été offerts aux mêmes autorités – que font-ils de ces véhicules après 1 année d’utilisation ?
Pour un pays qui manque cruellement de routes, le goût des autorités camerounaises pour les véhicules de luxe est pour le moins surprenant. En avril 2023, Tassing Rémi, un camerounais de la diaspora, et quelques volontaires anonymes ont entrepris de calculer le montant dépensé par gouvernement pour l’achat de véhicules en excluant les engins de BTP, les tricycles, les pneus. À l’issue du décompte dont les données sont disponibles en ligne, il s’avère que 20,7 milliards de francs CFA de fonds publics ont été utilisés pour acheter des véhicules (au moins 5 fois plus qu’en 2016).
Train de vie
Le train de vie de l’État est la cause de la mauvaise gestion des ressources au Cameroun. Malgré les « efforts » faits dans ce sens, des poches de résistance persistent ce qui rend difficile une meilleure répartition de l’argent public. L’appel d’offres pour la 2 phase de la construction de la résidence du président du CES budgétisé à 2 milliards de francs n’est donc que la manifestation de cette mauvaise habitude que les autorités camerounaises ont prise de se servir elles-mêmes en priorité au lieu de rendre service aux populations.
Moudjo Tobue
Photo : iamdavidrotimi/Iwaria