Alors que le gouvernement semble décidé à envisager l’option du dialogue dans la résolution de la crise politico-sécuritaire qui secoue les régions anglophones, tout porte à croire que toutes les conditions ne sont pas réunies pour un dialogue inclusif.

En tournée dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest du 9 au 17 mai 2019, le Premier Ministre du Cameroun, chef du gouvernement, a tenu à délivrer aux populations le message de paix dont il était porteur. Le message, envoyé par le président de la république Paul Biya, disait dans sa quintessence que dans le cadre du dialogue, tout pouvait être discuté, excepté la sécession.

Revirement inattendu, mais prévisible

Le message du chef du gouvernement, le Premier Ministre Joseph Dion Ngute, est plutôt surprenant. Il faut rappeler qu’à l’origine, la crise anglophone avait pour objectif le changement de la forme de l’État. Les activistes anglophones, en fin 2016 et début 2017 réclamaient un retour au fédéralisme, comme c’était le cas avant 1972, année de passage de l’État fédéral à l’État unitaire. On se souvient qu’à ce moment-là, le pouvoir de Yaoundé avait opposé une fin de non-recevoir à cette requête, arguant que la forme de l’État est non négociable.

Si le revirement du gouvernement de Yaoundé est surprenant, il était de tout même prévisible. En effet, ces dernières semaines n’ont pas été de tout repos : après la suspension de l’aide militaire américaine au Cameroun, la résolution du parlement européen dont certains points portaient sur la crise anglophone, les nombreuses visites de hautes personnalités étrangères au Cameroun, les interpellations de Human RightsWatch, le bilan inquiétant d’International Crisis Group et la récente réunion du Conseil de Sécurité de l’ONU sur la situation humanitaire dans les régions anglophones, le moins que l’on puisse dire c’est que notre gouvernement est sous pression.

La tournée du premier ministre annonce-t-elle pour autant une prochaine amélioration dans la résolution de ce conflit ? Rien n’est moins sûr…

Pas d’accalmie dans les régions en crise

Malgré son objectif louable, la visite du Premier Ministre en zone anglophone n’a pas calmé les ardeurs des combattants pro-sécession. Deux jours après son passage à Bamenda, deux militaires sont assassinés et un autre est blessé par balle. S’en suit un échange de tirs entre l’armée et les séparatistes qui se solde par l’incendie de « quelques maisons ». Pendant son séjour à Buea, le Premier Ministre a lui-même dû retarder son déplacement à Kumba, à cause de tirs dans la ville de Buea.

Quelques jours avant, le mot d’ordre de villes mortes était respecté dans la ville de Buea, où le maire Patrick Ekemaessayait d’obliger les commerçant à ouvrir leurs boutiques en forçant les portes des établissements.

Lors de la célébration de la fête de l’Unité Nationale, le 20 mai, les régions anglophones ont également brillé par leur non-participation, à l’exception de grandes villes comme Bamenda et Buea. Toujours le 20 mai, des affrontements ont eu lieu entre les séparatistes et les forces de l’ordre dans la ville de Kumba, tandis qu’à Muyuka dans le Sud-ouest, un enfant de 4 mois est tué par des soldats.

Qu’est-ce donc qui coince dans cette surprenante et inattendue volonté du gouvernement de Yaoundé de régler ce conflit autrement que par les armes ?

Les préalables pour un dialogue sincère et inclusif

Le gouvernement camerounais, une fois de plus, donne l’impression d’aller trop vite en besogne. Pour que le dialogue sur la crise anglophone porte des fruits, il y a un certain nombre de mesures à prendre avant le dialogue proprement dit :

1. Libérer les prisonniers de la crise anglophone : on estime à plus d’un millier le nombre de personnes arrêtées et détenues ou condamnées depuis le début de la crise, et parmi ces personnes figurent ceux qui peuvent être considérés comme des leaders, notamment Sisiku Ayuk Tabe et Mancho Bibixi(entre autres). S’il faut organiser un dialogue inclusif sur la crise anglophone, ces personnes doivent être préalablement libérées ainsi que tous ceux qui sont encore détenus dans les prisons de Yaoundé, Bamenda ou Buea.

2. Négocier un cessez-le-feu : Les derniers événement l’ont bien montré, les combattants indépendantistes n’ont pas l’intention de baisser les armes dans le contexte actuel. Or, sera-t-il possible de dialoguer alors que les balles crépitent ? Il est donc impératif qu’un accord de cessez-le-feu soit conclu entre le gouvernement et les séparatistes pour que le dialogue se tienne. Pour cela, il faudra impérativement démilitariser la zone anglophone et démobiliser les soldats engagés au front.

3. Trouver un médiateur neutre : l’un des éléments qui plombe la résolution de la crise dans le Nord-ouest et le Sud-ouest, c’est que non seulement le gouvernement (autant que les séparatistes) refuse de faire des concessions, mais surtout il n’est pas prêt à négocier d’égal à égal avec le camp d’en face.C’est par exemple la raison pour laquelle la démobilisation et le désarmement mis en place en fin 2018 concerne uniquement les groupes armés séparatistes, et non les soldats de l’armée régulière. Pourquoi désarmer un camp et pas l’autre ? Il est donc question pour le gouvernement de se constitue en partie, et de laisser à un autre juge le soin de conduire les négociations.

Le fait que ces conditions ne soient pas remplies (et ne soient  même peut-être pas envisagées) amène certains observateurs à douter de la sincérité du gouvernement quant à la démarche entreprise pour le dialogue.

Sons discordants au sein du gouvernement

Le gouvernement camerounais essaie-t-il simplement de contenter ses partenaires internationaux en organisant un simulacre de dialogue ? Beaucoup de personnes sont de cet avis. L’indifférence affichée pendant trois ans devant les tueries et les pleurs des femmes, épouses, mères et filles vivant dans la peur et la douleur, l’entêtement du gouvernement à ne dialoguer qu’avec les armes, le silence des autorités face aux exactions que subissent les populations des régions du Nord-ouest et du Sud-ouest depuis des années ne jouent pas en la faveur de l’État du Cameroun.

Mais ce n’est pas tout : dans une récente interview diffusée sur France 24, le Ministre de l’Administration Territoriale (MINAT), Paul Atanga Nji, a affirmé que la forme de l’Étatne ferait jamais l’objet de discussions, contredisant par la même occasion le Premier Ministre et l’objet même de sa mission de paix.

Même s’il est encore tôt pour conclure, il faut tout de même rester prudent car la suite des événements sera déterminante dans la résolution ou non de la crise qui sévit au Cameroun anglophone depuis 3 années déjà.

Photo : meyomessalainternational.com