Au Cameroun il est de plus en plus difficile, voire dangereux d’exercer son droit à l’expression libre, dans un contexte où toute opinion contradictoire est violemment attaquée, même sur les réseaux sociaux.
Pr Pascal Charlemagne Messanga Nyamding, biyaïste autoproclamé et membre du comité central du Rassemblement Démocratique pour le Peuple Camerounais (RDPC) le parti au pouvoir, a été exclu définitivement du parti à l’issue d’un conseil de discipline controversé. Il lui est reproché en gros ses prises de parole sur les médias, notamment lorsqu’il s’en prend à ses camarades de parti coupables de détournements et autres malversations, mais également sa prise de position en faveur du mouvement de grève des enseignants du secondaire lancé en mars 2022.
Musèlement
Ce qui est arrivé au Pr Messanga Nyamding n’est pas nouveau sous nos cieux. Il est en effet très récurrent pour le pouvoir de museler toute personne qui essaie d’exercer avec trop d’enthousiasme le droit à l’expression. Et lorsqu’il est difficile de fermer la bouche aux personnes trop bavardes, le gouvernement essaie tout au moins de réduire la portée de leur message, notamment en s’assurant que les chaînes nationales ainsi que le journal à capitaux publics – et les très nombreux journaux à gage – ne traitent jamais de cette actualité, si ce n’est en l’orientant d’une certaine façon.
C’est exactement ce qui se passe depuis mars 2022 avec le mouvement de protestation lancé par les enseignants du secondaire et dénommé OTS (On a Trop Supporté). Cette actualité n’a que très peu été traitée par les organes cités plus haut. Les seules fois où ils en ont fait mention, c’est lorsque le gouvernement réagissait en faisait des promesses aux grévistes. Le reste du temps, d’autres sujets étaient traités, comme si de rien n’était.
Mais ce n’est pas tout. Dans cette même période, la chaine de télévision privée Équinoxe TV, qui parlait de cette actualité pratiquement chaque semaine dans des débats télévisés, aurait reçu des menaces du Ministre de l’Administration Territoriale à cause de la façon dont elle traitait cette actualité. Le 1er avril 2022, le Sévérin Tchounkeu et Cédric Noufele, respectivement PDG et rédacteur en chef ont été suspendus pour un mois par le Conseil national de la communication (CNC) ainsi que Droit de Réponse, une émission de débats très suivie.
Autocensure
Au quotidien, le camerounais est devenu très méfiant, suspectant tout inconnu de connivence avec le pouvoir en place. Que ce soit dans les lieux publics ou dans les transports en commun, nombreux sont ceux qui s’empêchent d’intervenir sur certains sujets ou de donner librement leur opinion. Il se dit dans les coulisses que parmi les conducteurs de taxis figurent des indics qui ont pour mission de soulever certains sujets de conversation pour inciter les passagers à donner leur avis sur la gestion des affaires, et permettre ainsi que les plus radicaux soient filés ou arrêtés si nécessaire.
Que cette information soit fausse ou pas, elle a à coup sûr un effet dissuasif sur les Camerounais qui, lorsqu’ils ont des idées anti-gouvernement, préfèrent les garder pour eux-mêmes au lieu de les exposer et courir le risque de se retrouver dans des situations délicates.
L’avènement des réseaux sociaux a donné aux simples citoyens un espace d’expression à l’abri de la censure et des intimidations. Du moins c’est ce qu’on a cru pendant quelques temps, jusqu’à ce que des armées de comptes, faux ou non, viennent systématiquement attaquer ceux qui développent une certaine opinion. La particularité de ce phénomène c’est qu’il n’est pas exclusif aux pro-gouvernement. L’espace politique s’est détérioré à tel point que quelle que soit l’opinion qui est développée, personne n’est à l’abri des attaques.
À cela s’ajoute un autre phénomène : l’exacerbation du tribalisme. Le camerounais n’est plus défini que par son appartenance ethnique, et c’est par son ethnie qu’on analyse ses idées. Par défaut, les ressortissants de l’Ouest sont des opposants tandis que ceux du Centre-Sud sont pro-régime. Et lorsque l’un de ces derniers exprime une idée, il est systématiquement attaqué sur son origine ethnique. De ce fait, nombreux sont ceux qui ont opté pour le silence, se résignant à laisser « la politique aux politiciens » – tel que l’avait déclaré le président Paul Biya dans une adresse à la nation en 1991.
Intimidation
Dans cette bataille pour le droit à la parole, les journalistes occupent la place centrale sans doute parce qu’ils sont ceux qui symbolisent le plus de droit. Mais, le rôle des de ces derniers est de deux ordres : d’un côté nous avons ceux qui essaient de rester dans leur rôle primordial qui est celui d’informer, d’éduquer même de la façon la plus objective possible, mais de l’autre côté une autre frange existe, qui fait du journalisme à gage et dont les éditions sont parfois des tirs groupés dirigés vers des personnalités ou vers leurs collègues, en échange on l’imagine, de quelques prébendes.
Les journalistes ont ces dernières années subi un certain nombre de coups, allant de l’intimidation aux arrestations et autres humiliations ou agressions physiques. On a encore en mémoire le cas de la Mimi Mefo Takambou, journaliste à la chaine de télévision Équinoxe TV qui après avoir été accusée de collusion avec les séparatistes ambazoniens et arrêtée a opté pour l’exil. D’ailleurs cette dernière a eu plus de chance que son confrère Samuel Wazizi mort en détention et dont les circonstances de la mort n’ont jusqu’ici jamais été élucidées. Ou que Paul Chouta enlevé et tabassé à Yaoundé en mars 2022 par des personnes non identifiées, après avoir précédemment séjourné en prison pendant plus de 2 ans pour une obscure affaire de diffamation.
Une épée de Damoclès qui pend en permanence sur la tête des journalistes et qui peut encourager ces derniers à mettre de l’eau dans leur vin lorsqu’il s’agit de traiter certains sujets, contribuant ainsi à réduire l’espace n’expression libre.
Impasse ?
La situation de la liberté d’expression semble compliquée au Cameroun. Des citoyens ont été intimidés, arrêtés et détenus pour avoir exprimé une opinion, précisément une opinion qui va à l’encontre des intérêts du gouvernement. Et dans cette bataille pour le droit à la parole, les journalistes ne sont pas seuls au front même s’ils restent les plus touchés. Et dans ce contexte, la nécessité de mettre en place des mécanismes à même de garantir ce droit pour tout citoyen se fait ressentir avec plus d’acuité.
Moudjo Tobue
Photo : AMISOM via Iwaria